I- D’Usclades à Fay et Saint-Agrève, carte n°116 à 121

Ce long chemin orienté sud-nord traverse la totalité du plateau vivaro-vellave. Il n’est jamais désigné clairement par la documentation de bout en bout, pourtant sa continuité ne pose aucun problème. Néanmoins, il est difficile d’en comprendre l’utilité et la raison d’être.

En 1279, la strade de Sepon sert de confront à divers biens situés sur le Suc de Sépoux ( 3336 ) et en 1380, maître Pierre Dulac, notaire, enregistre une transaction entre Raymond, abbé de Mazan, d’une part, et Girard, prieur de la chartreuse de Bonnefoy, portant sur les limites de leurs domaines respectifs non loin du mont Gerbier-de-Jonc ( 3337 ). L’une des limites fixées est constituée par « l’estrade allant des Estables à Usclades (...) dite estrade publique de Sepoux ».

Au départ d’Usclades, cette route se dirigeant vers le suc de Sépoux et au-delà vers les Estables est encore nettement identifiable. Elle quitte le village vers le nord par le quartier de Seniplantier, puis continue par Bérouard ( 3338 ). D’Usclades à Bérouard, la route de Sépoux se confond avec la route d’Aubenas au Puy passant par le col du Pal. Ensuite seulement, elle s’en sépare pour continuer vers l’Ouleyre puis par la Cham du Bleynet, à l’ouest de Sainte-Eulalie ( 3339 ).

Ensuite, elle passe au quartier de la Garde ( 3340 ), au pied du suc de Sépoux, sommet lui ayant donné son nom en 1380. La continuité de l’itinéraire vers le nord est nette, cheminant entre les sucs de Sépoux et de Sépounet. Après ces deux sucs, elle arrive au quartier de la Croix de Montouze, où elle coupe la route allant du Pouzin au Puy. En 1380, l’estrade de Sépoux est dite allant d’Usclades aux Estables. C’est à ce niveau que le voyageur oblique donc vers l’ouest pour rejoindre les Estables. Néanmoins, la continuation du chemin vers le nord est topographiquement assurée, il se dirige vers la Croix des Boutières et la Croix de Peccata, formant la limite entre les paroisses des Estables et de Borée ( 3341 ).

De la Croix de Peccata, où passe en 1483 le chemin qui va apud Faynum ( 3342 ), à Fay, le cadastre permet d’identifier un itinéraire passant par le pied du suc de la Grosse Roche ( 3343 ) et se dirigeant vers Chaudeyrolles, sans toutefois s’y rendre puisqu’au niveau de Chantemerle, il oblique vers l’est afin de contourner le mont Signon ( 3344 ). Pour arriver à Fay, le voyageur doit obliquer vers le nord au niveau de Autinac, alors que le chemin se poursuit pour sa part vers le nord-est ( 3345 ). Sa continuité en direction des Vastres ne fait aucun doute à la lecture de son tracé. Nous le trouvons ainsi dans la très longue Cham de Pleyne, aux Sagnebesses et aux Hugons puis enfin au hameau du Coin, à l’ouest de Saint-Agrève juste avant lequel il sert de limite de paroisses entre Saint-Romain-le-Désert au nord-ouest et Saint-Julien-Boutières au sud-est.

En outre, au niveau de la Croix de Peccata se sépare un itinéraire gagnant Saint-Front, situé à une dizaine de kilomètres au nord-est. Nous trouvons ce chemin en 1424 confrontant à deux reprises des terres situées au lieu-dit des Vigiers, au terroir de Matarel, sur la paroisse de Saint-Front ( 3346 ). De la Croix de Peccata à Matarel, la plantation de résineux sur les flancs du mont d’Alambre ont partiellement fait disparaître le tracé du chemin qui reste toutefois visible sur le cadastre napoléonien ( 3347 ). Ce chemin se divise en trois branches parallèles étagées sur la pente du mont d’Alambre, convergeant toutes vers les Couffours ( 3348 ) pour continuer vers les abords de Saint-Front distant de quatre à cinq kilomètres seulement.

Il est difficile de cerner l’importance de ce chemin très mal renseigné par la documentation même tardimédiévale. On peut toutefois affirmer qu’il ne s’agit nullement d’une route commerciale très importante à l’échelle régionale, mais que l’on est par contre en présence du principal chemin de transhumance de la région.

En effet, cet axe traverse l’ensemble du plateau où les abbayes de Mazan, de Saint-Chaffre et la chartreuse de Bonnefoy font estiver leurs troupeaux. Il passe même à proximité de la chartreuse, et dans de nombreux domaines et granges de ces établissements. La destination transhumante de l’axe apparaît nettement lorsque l’on constate que sur le cadastre napoléonien le chemin de Saint-Front à la Croix de Peccata prend le nom de « Draye de Bonnefont au Mézenc » ou encore de « Bonnefont à Chaudeyrac ». Tous ces lieux sont des pâturages d’estive pour les troupeaux de Mazan et de Saint-Chaffre ( 3349 ). De même, à la limite de Borée et des Estables, le chemin prend le nom de « Draye d’Alambre » ( 3350 ). Au niveau de Sainte-Eulalie, le toponyme de Cham du Bleynet qui se trouve sur le passage de la draye ne s’applique en fait qu’à un élargissement de l’axe qui forme alors un grand espace grossièrement triangulaire d’une surface de 55 hectares qui est indissociable du chemin ( 3351 ). Cet élargissement du chemin est encore au XIXè siècle indivis entre 18 personnes à qui a été dévolue cette terre appartenant anciennement à l’abbaye de Mazan ( 3352 ). Il est difficile de comprendre cette configuration pour une simple route, mais celle-ci prend une autre signification si l’on considère que cet axe est avant tout un chemin de transhumance. En effet, il peut alors s’agir d’un espace destiné au stationnement d’un troupeau alors que l’on sait que le Bleynet est un domaine où l’abbaye de Mazan fait estiver une partie de ses troupeaux, domaine qu’elle possède au moins depuis 1217 ( 3353 ).

Au sud, cette draye, après avoir traversé l’ensemble des domaines d’altitude de la région rejoint le col du Pal par où les troupeaux descendent vers les pâturages d’hiver situés à basse altitude autour du Coiron ( 3354 ).

A l’issue de ce tour d’horizon des itinéraires routiers des Boutières et des abords du massif du mont Mézenc, il apparaît que c’est une région traversée avant tout par des axes d’importance moyenne. Seule la route du Pouzin au Puy passant par Privas émerge du lot, constituant l’une des plus grandes routes vivaroises. Outre le fait d’être la plus importante, la route du Pouzin au Puy est la seule à pouvoir très probablement prétendre à une origine antique. Les autres axes sont presque tous de la seconde moitié du Moyen Age et ne semblent pas connaître de développement important avant les XIè ou XIIè siècles. Retenons toutefois deux exceptions, les routes de Chalencon à Saint-Alban et de Chalencon à Pranles et Privas, que l’on peut supposer de la période carolingienne, destinées à relier deux centres vicariaux voisins : Chalencon - Pranles d’une part, et Chalencon - Saint-Alban de l’autre.

Notes
3336.

) Poncer (J.-A.) : Mémoire historique sur le Vivarais, op. cit., t. 3, p. 71.

3337.

) Poncer J.- A. : Mémoire historique sur le Vivarais, op. cit., t. III, p. 116. L’original ou toute copie de l’acte a disparu. Il n’en subsiste à l’heure actuelle que l’analyse détaillée qu’en a donné M. Poncer à la fin du XIXè siècle. Ce n’est toutefois semble-t-il qu’une piètre lecture du texte dans la mesure où tous les toponymes ou presque sont mal transcrits, comme par exemple le domaine du Goudoulet, Godoleto au Moyen Age, qui devient ici de manière fantaisiste Gandolon qui serait impossible à identifier, si le texte ne précisait qu’il s’agit d’une grange de l’abbaye d’Aiguebelle.

3338.

) Usclades-et-Rieutord, cadastre de 1838, section A1 dite de Boutergues.

3339.

) Sainte-Eulalie, cadastre de 1840, section D1 et D2 dites de Sainte-Eulalie.

3340.

) Sainte-Eulalie, cadastre de 1840, section C4 dites de la Garde.

3341.

) Les Estables, cadastre de 1826, tableau d’assemblage.

3342.

) AD 07, C 683, n°2.

3343.

) Chaudeyrolles, cadastre de 1826, section A4 du Mézenc.

3344.

) Chaudeyrolles, cadastre de 1826, section B3 du Chaudeyrolles.

3345.

) Chaudeyrolles, cadastre de 1826, section B1 du Chaudeyrolles.

3346.

) Poncer (J.-A.) : Mémoire historique sur le Vivarais, op. cit., vol. 3, p. 123.

3347.

) Saint-Front, cadastre de 1826, section G2 dite des Bastides.

3348.

) Saint-Front, cadastre de 1826, section F dite du Buisson.

3349.

) Ibidem.

3350.

) Les Estables, cadastre de 1836, tableau d’assemblage.

3351.

) Cf. t. I, p. 268-269.

3352.

) AD 07, 3P1596.

3353.

) Gallia christiana novissima, t. XVI, Instr., col. 240-243.

3354.

) Sur la description de l’itinéraire emprunté, cf. Brechon (F.) : « Contribution à une histoire de la transhumance sur le rebord sud-est du Massif Central : les troupeaux de l’abbaye de Saint-Chaffre-du-Monastier à la fin du Moyen Age », art. cité, p. 55-59 ; ainsi que t. I, p. 268-270.