a- D’Aubenas à Thueyts

La route conduisant à Pradelles se sépare de celle menant au Puy par Montpezat au niveau d’Aubenas. Le passage de la route au travers d’Aubenas est très net, celle-ci constituant la rue centrale de la ville. Elle en sort par la porte Saint-Antoine ( 3570 ), qui est la seule à déboucher vers l’ouest à peu de distance de l’hôpital des Antonins ( 3571 ). Ensuite, elle se dirige vers le quartier de Constantine en cheminant au bord de la crête dominant l’Ardèche, à la différence de la route actuelle qui descend rapidement au niveau de la rivière et qui n’est qu’une construction du XVIIIè siècle destinée à faciliter l’accès des attelages à Aubenas ( 3572 ). Ensuite, la route passe au quartier de la Côte de Fontbonne ( 3573 ), où elle confronte en 1501 une terre reconnue à l’abbaye de Mazan ( 3574 ), puis elle se dirige vers la combe de Gibaud ( 3575 ), où elle franchit le ruisseau de Gibaud sur un pont mentionné dès 1501 ( 3576 ). Il est net que la descente sur le versant sud de la vallée du Mercoiret présente une rude déclivité, infranchissable pour un attelage, et qui a imposé la construction de la route actuelle.

A ce niveau vient se greffer un axe provenant directement du pont d’Aubenas, passant par le quartier de Notre-Dame des Plans et de Dugradu, que l’on trouve mentionné dans le terrier de la grange mazanaise du Cheylard sous le nom d’itinere quo itur de Beguda apud pontem Albenacium ( 3577 ) et sur le cadastre sous le nom de « chemin du Pont à Lautaret » ( 3578 ). Il présente pour principal avantage de permettre au voyageur ne souhaitant pas faire escale à Aubenas de ne pas devoir gravir la rude « Montée des Ânes » entre le Pont d’Aubenas et Aubenas pour redescendre peu après.

Ensuite, la route ne suit pas exactement la vallée de l’Ardèche qui présente en effet souvent des berges difficilement praticables, principalement au-delà de Labégude, au lieu-dit de Leousseyre. Le versant rocheux y tombe directement dans l’eau formant un verrou que seule la route du XVIIIè siècle est parvenue à franchir. La route médiévale passe donc plus haut sur la pente, par le Mazel, où elle est mentionnée en 1501 ( 3579 ), avant de redescendre jusqu’au lieu-dit de la côte du Malpas qui lui permet de rejoindre le bord de l’Ardèche une fois les défilés de Leousseyre franchis. Le cadastre représente encore « le chemin du Puy » très bien inscrit dans le parcellaire à côté de la « Route d’Aubenas » qui se surimpose à toutes les parcelles ( 3580 ). La « Côte du Malpas » sera d’ailleurs au XVIIIè siècle l’une des motivations retenues pour entreprendre les travaux de terrassement considérables du défilé de Leousseyre, la pente interdisant tout passage d’attelage ( 3581 ). La route reste ensuite au fond de la vallée de l’Ardèche, bien identifiable sur le cadastre napoléonien, en passant par le Chastellier puis l’Hoste du Fau. Tout au plus s’écarte-t-elle d’une centaine de mètres par rapport au bord de l’eau au niveau de Salindres, l’Host-du-Fau ( 3582 ) et Lalevade ( 3583 ), à la différence du tracé du XVIIIè siècle que suit encore la route actuelle. Au niveau de l’Hoste-du-Fau, la route de Jaujac se sépare de la route de Mayres en suivant la vallée du Salindres. Au-delà de Jaujac, elle permet aussi de rejoindre Pradelles.

Au niveau de Labeaume, actuellement Pont-de-Labeaume, la confluence de l’Ardèche et de la Fonteaulière se présente comme un très net verrou aux versants rocheux abrupts, ne permettant pas un passage facile. Deux possibilités se présentent : soit traverser l’Ardèche puis passer par la vallée de la Fonteaulière et Meyras, soit s’élever en direction du sud et quitter momentanément les rives de l’Ardèche.

La première solution est peu vraisemblable. En effet, le pont de Labeaume n’est pas un ouvrage médiéval. Au milieu du XVIIIè siècle, la documentation des Etats du Vivarais nous apprend que Labeaume est « l’endroict ou doit se faire un pont sur l’Ardèche » ( 3584 ). Il s’agit bien d’une construction entièrement neuve puisque le toponyme de Pont-de-Labeaume est de formation récente, ne figurant ni sur la carte de Cassini, et ni sur le compoix de Niègles en 1641 qui ne mentionnent que le quartier de Balma. Le pont de Rolandy, qui franchit aussi l’Ardèche presque au même niveau n’est pas non plus médiéval, puisque c’est une création ex nihilo des années 1760 ( 3585 ). Certes, il devait être possible de traverser l’Ardèche à gué une large partie de l’année, mais cette solution ne peut convenir à une grande route, alors que d’autres rivières plus petites croisant son parcours ont entraîné la construction d’un pont.

Ne pouvant traverser l’Ardèche aisément au niveau du confluent Ardèche - Fonteaulière, le chemin médiéval était contraint de s’élever en direction du sud dès avant le hameau de Labeaume par un itinéraire que l’on peut encore nettement identifier sur le cadastre. Il ne correspond toutefois pas à la route cadastrée au XIXè siècle qui s’inscrit très mal dans le parcellaire et qui semble liée à la construction du pont de Labeaume puisqu’elle en part, mais il figure au cadastre sous la forme de plusieurs sections de sentiers en voie d’abandon et de limites parcellaires continues ( 3586 ). Beaucoup plus direct, il quitte l’Ardèche au niveau du hameau de La Garde et s’élève rapidement au-dessus du passage difficile par le Coulet, étymologiquement le petit col.

Nous avons déjà expliqué qu’il est très probable que des droits de péage aient été associés au château de Meyras dès le Moyen Age ( 3587 ). En 1737, celui-ci se perçoit au niveau du Pont-de-Labeaume ( 3588 ), mais la route médiévale n’y passait pas. Aussi, il faut envisager un autre poste de perception. Le toponyme la Garde pourrait marquer l’emplacement de l’un de ces points de perception ( 3589 ). En effet ,il est situé à l’endroit où la route se rapproche le plus du château de Meyras auquel les droits sont attachés et, en outre, il se trouve sans doute non loin de la limite sud-est probable du mandement de Meyras.

Après le Coulet, la route descend vers le pont de la Talhade qui lui permet de franchir le Lignon, affluent de l’Ardèche. En 1501, une terre située immédiatement à la sortie d’Aubenas et reconnue à l’abbaye de Mazan confronte l’itinere publico quo itur de Albenacio versus pontem Talhata  ( 3590 ). Notons que le tracé ancien arrive dans l’axe du pont ce qui n’est pas le cas du tracé moderne qui oblique à angle droit avant de s’y engager. Cet ouvrage existe dès 1406 au moins, date à laquelle un contrat de mariage est enregistré apud pontem Talliate par Maître Johannet, notaire de Meyras ( 3591 ). La faible largeur du tablier de cet ouvrage explique d’ailleurs en partie les difficultés rencontrées en matière de roulage sur cette route : il ne mesure pas plus de deux mètres ce qui interdit assurément tout charroi. En 1724, les Etats du Vivarais notent d’ailleurs que « le pont du Barutel, celuy de la Taillade, tous deux trop étroits et leur montée presque irrémédiable » sont un obstacle au développement du charroi et qu’il est nécessaire d’envisager leur reconstruction ( 3592 ). Si le pont du Barutel a été reconstruit sur les lieux même faisant disparaître toute trace ancienne, heureusement pour l’archéologue, celui de la Taillade a été déplacé d’une dizaine de mètres ce qui a préservé le pont médiéval.

Entre Labégude et Lalevade, puis au niveau du pont de la Taillade, la route traverse le mandement du château de Jaujac auquel sont associés des droits de péages. Ces derniers sont confirmés au milieu du XVIè siècle par l’administration de la sénéchaussée sur présentation de titres anciens dont ni la teneur ni la date ne sont malheureusement fournis dans la lettre rendant le verdict de maintien ( 3593 ). On peut néanmoins légitimement avancer que les « anciens titres » présentés au milieu du XVIè siècle sont de la fin du Moyen Age. Où se percevait ce péage alors que la route passe assez loin du château de Jaujac ? En 1509, noble Guillaume de Jaujac vend au couvent des frères mineurs d’Aubenas une pension de 5 florins à lever sur tous ses biens et spécialement sur son péage de la Taillade ( 3594 ). Il est très probable, que ce péage du pont de la Taillade ne soit, en fait, qu’un poste de perception des droits du mandement de Jaujac, situé à un point clef que le voyageur ne peut éviter, la vallée du Lignon qui forme des gorges profondes que seul le pont permet de franchir sans risque. Même si l’association directe de ce poste avec les droits associés au château de Jaujac n’est pas explicite dans l’acte, elle est très probable. D’une part, la Taillade est dans le mandement de Jaujac et d’autre part, c’est un membre du lignage de Jaujac qui afferme le péage, et non un membre du lignage de Roche-en-Régnier ce qui aurait été le cas si le péage avait relevé du château de Meyras.

Après le pont de la Talhade, la route rejoint la vallée de l’Ardèche et la traverse sur celui du Barutel, mentionné dès le XVè siècle ( 3595 ). A ce niveau, se sépare un court chemin, que nous avons déjà présenté, reliant par Meyras la route d’Aubenas à Pradelles et celle d’Aubenas à Montpezat et au Puy. Au-delà, en amont dans la vallée de l’Ardèche, la route confronte en 1397 une parcelle située au village de Thueyts ( 3596 ). Du pont du Barutel à Thueyts, le hameau de Lestrade nous sert de guide et permet de situer la route qui passe globalement à l’emplacement de l’actuelle R.N. 102, excepté juste avant Thueyts où elle chemine plus près de l’Ardèche ( 3597 ).

A Thueyts, la route entre dans le mandement de Chadenac dans l’étendue duquel se perçoit un important péage et un pulvérage depuis le XIIIè siècle au moins. Néanmoins, eu égard à la situation excentrée du château situé de l’autre coté de l’Ardèche en rive droite, ce péage se perçoit entre autres lieux à Thueyts ( 3598 ).

Notes
3570.

) AD 07, 2E 32, f°41.

3571.

) Sur la topographie urbaine d’Aubenas, cf. t. I, p. 479-480.

3572.

) AD 07, C 844, n°25.

3573.

) Attention de ne pas confondre le quartier de la Côte de Fontbonne et celui de Fontbonne lui même, la route ne passant absolument pas au second.

3574.

) AD 07, 3H 3, f°129.

3575.

) Ibidem.

3576.

) Ibidem, f°2v°.

3577.

) AD 07, 3H 3, f°5v°.

3578.

) Aubenas, cadastre de 1833, section A1 dite du Pont.

3579.

) AD 07, 3H 3, f°90.

3580.

) Mercuer, cadastre de 1834, section A2 dite de Labègude.

3581.

) AD 07, C 844, n°25.

3582.

) Mercuer, cadastre de 1834, section A1 dite de Labégude.

3583.

) Niègles, cadastre de 1839, section B dite de la Ribeyre.

3584.

) Martin (A.-V.-J.) : « Sur les routes du Vivarais au XVIIIè siècle », art. cité, p. 221.

3585.

) Morel (Y.) : « Les quatre ponts de Rolandy », art. cité, p. 4.

3586.

) Niègles, cadastre de 1839, section C dite de la Baume.

3587.

) Cf. supra, p. 305-306.

3588.

) AD 34, C 1799.

3589.

) Niègle, cadastre de 1839, section C dite de la Baume.

3590.

) AD 07, 3H 3, f°8v°.

3591.

) AD 07, 2E 2538, f°272v°.

3592.

) AD 07, C 844, n°25.

3593.

) AD 30, A 3, p. 2513.

3594.

) AD 07, 13H 2, f° 63v°.

3595.

) Fonds privé, renseignement communiqué par Laurent Haond, de Montpezat.

3596.

) AD 48, E 792, f°21.

3597.

) Thueyts, cadastre de 1838, section F5 dite du Croix de Laval.

3598.

) Cf. t. I, annexe n°13.