Par Cellier-du-Luc

Il est toutefois plus simple de se diriger vers Pradelles depuis Saint-Etienne-de-Lugdarès en ne rejoignant le chemin de Régordane qu’au Cellier-du-Luc : le trajet est plus court et dispense de passer à Luc où se prélève un péage. C’est d’ailleurs ce chemin qui, au travers de la documentation, semble avoir le plus d’importance. La route confronte à plusieurs reprise des terres de l’abbaye des Chambons ce qui nous permet d’en suivre le tracé sans difficulté.

Le chemin de Pradelles se sépare de celui de Luc à la sortie ouest de Saint-Etienne-de-Lugdarès en longeant le Pueh Mossier où une terre confronte la route de Saint-Etienne à Pradelles en 1460 ( 3699 ). Peu après, la route de Saint-Etienne à Pradelles passe au Ranc d’Albespeyre puis, au-delà, confronte un pré situé non loin du Doulay reconnu à l’abbaye des Chambons en 1269 ( 3700 ). Sa continuité est ensuite nette par le col du Fau, puis par le mas des Fonds juste avant d’arriver à Cellier-du-Luc. En 1337, plusieurs parcelles situées au bord du ruisseau de Channil, non loin du Cellier, confrontent le chemin public qui va de Saint-Etienne-de-Lugdarès vers Pradelles ( 3701 ). Le cadastre permet de penser que le chemin venant de Saint-Etienne ne rejoint pas la Régordane à Cellier-du-Luc même, mais quelques kilomètres plus au nord. Le « chemin ferrat de Loubaresse » y figure en effet, passant par la combe du ruisseau de Levert, le mas de la Grange, puis le quartier de Sagne-Morte, où il rejoint la Régordane entre la Croix de Rouge et l’Arnier ( 3702 ). En 1668, ce chemin est d’ailleurs présenté par des bourgeois de Pradelles à Louis de Froidour, enquêtant sur le tracé de la Régordane, comme une alternative possible au chemin de Régordane ( 3703 ).

L’importance de cette route d’Aubenas à Pradelles suivant la vallée du Lignon ne doit pas être surestimée. Certes, le nombre de péages qui pèsent sur son trafic est important, puisqu’il s’en prélève à Aubenas, Jaujac, Borne et enfin Luc ou Pradelles, mais ce n’est jamais un axe très clairement mentionné de bout en bout dans la documentation comme une route importante. En effet, ce n’est jamais une magna strata, et encore moins une route royale. Il est vrai qu’elle cumule plusieurs inconvénients notables. Tout d’abord, les vallées de la Borne et du Masméjean sont réputées pour leur fort enneigement, pouvant parfois approcher des deux mètres au plus fort de l’hiver. En 1668, Louis de Froidour note que ces secteurs sont souvent impraticables quatre mois de l’année ( 3704 ). En outre, c’est un tracé sensiblement plus long que celui passant soit par Mayres, soit par Chaumiène. Il représente une vingtaine de kilomètres supplémentaires pour une personne se rendant à Pradelles puisqu’il impose un détour par le sud jusqu’à Luc, ou au moins Cellier-du-Luc, à moins de passer par Cham Longe, mais il faut alors affronter là de vastes étendues désolées culminant à plus de 1400 mètres. Nous sommes donc en présence d’un axe d’importance moyenne avant tout destiné au trafic régional visant à desservir la vallée du Lignon et les hautes Cévennes vivaroises, même s’il peut aussi de par son orientation s’ouvrir ponctuellement à un trafic interrégional en direction du Velay, ou plus encore, du Gévaudan.

D’importance moyenne, ce chemin n’est pas non plus très ancien dans le Moyen Age.

Certes, strictement aucun texte antérieur au cartulaire de l’abbaye des Chambons qui débute au milieu du XIIè siècle, n’a été conservé, mais l’archéologie nous laisse entrevoir une région vide d’hommes avant les Xè-XIè siècles. Seul un site protohistorique, l’oppidum de Borne, pourrait attester d’un embryon d’occupation humaine indigène ( 3705 ). La période gallo-romaine ne se caractérise pas par une intensification de la mise en valeur de la région qui reste largement vide d’hommes et où seule la source thermale de Saint-Laurent-les-Bains fait l’objet d’une exploitation ponctuelle ( 3706 ). La mise en valeur de la région est pour l’essentiel le fait des Xè-XIIè siècles, la fondation de l’abbaye des Chambons et son effort agropastoral en marquant le point culminant. La route n’étant pas un grand axe interrégional, mais ayant, comme nous l’avons expliqué, avant tout pour vocation de desservir les régions traversées, il serait illogique de penser qu’elle ait pu exister avant même leur mise en valeur.

L’axe majeur de la région est incontestablement la route de Viviers au Puy. Route d’origine antique, elle semble dès lors avoir eu une importance notable, reliant les cités voisines d’Alba et de Ruessium. Ensuite, aux Xè-XIè siècles, le développement du pèlerinage marial ponot lui apporte nombre de voyageurs, l’installation de la curie à Avignon renforçant encore son rôle à partir du XIVè siècle. Exception faite des axes du sillon rhodanien et du chemin de Régordane, c’est alors incontestablement la route la plus importante du Vivarais.

Cet axe constitue véritablement une épine dorsale sur laquelle viennent se greffer toutes les autres routes de la région. Parmi celles-ci, le chemin d’Aubenas à Pradelles par la haute vallée de l’Ardèche tient une place prépondérante de par le rôle de liaison interrégional qu’elle joue vers le sud du Velay et le Gévaudan. Ensuite, d’autres axes plus secondaires, ayant avant tout une fonction régionale, peuvent encore être cités. C’est le cas de la route de Villeneuve-de-Berg à Privas ou au col de l’Escrinet, ou encore de celle d’Aubenas à Pradelles par la vallée du Lignon, ou d’Aubenas à Mézilhac par Antraigues.

Notes
3699.

) AD 48, 6J 1, n°440.

3700.

) Ibidem, n°668.

3701.

) Ibidem, n°425 et AD 07, 1H 19.

3702.

) Cellier-du-Luc, cadastre de 1843, tableau d’assemblage.

3703.

) Giraud (M.) : La visitation du chemin appelé Régordane effectuée par Louis de Froidour en 1668, op. cit.,vol. II, p. 235.

3704.

) Ibidem.

3705.

) Durand (E.) et Lefèvre (Cl.) : Les habitats groupés protohistoriques du département de l’Ardèche, programme H10, rapport trisannuel 1993-1995, op. cit.

3706.

) Brechon (F.) : « Jalons pour une histoire du thermalisme languedocien au Moyen Age : les sources de Saint-Laurent-les-Bains et de Saint-Georges-les-Bains », art. cité.