c- De Joyeuse à Saint-Ambroix par Beaulieu

A partir de Joyeuse en direction de Saint-Ambroix, le premier chemin passe par la plaine de Jalès. Il figure nettement sur un plan du réseau routier de la région de Joyeuse – Les Vans dressé au milieu du XVIIIè siècle ( 3758 ) et sur la carte de Cassini. Quelques documents médiévaux permettent de plus d’en préciser le tracé. Par exemple, la transaction portant sur les limites des juridictions de la commanderie de Jalès et du castrum de Bec-de-Jun fixe celles-ci en 1270 le long d’une strata publica dont on apprend plus loin qu’elle vient de Alesto et tende versus Gaudiosam ( 3759 ).

A la sortie de Joyeuse, dès 1235, le chemin sert de limite aux pâturages que Pierre de Barjac, seigneur de Cornillon, vend à la maison du Temple de Jalès ( 3760 ). Ces pâturages sont bornés à l’est par l’iter qui va de Joyeuse au Chassezac. La direction de la route à la sortie de Joyeuse nous est donnée par la localisation de la porte de Jalès qui perce les remparts de la ville en direction du sud-est ( 3761 ). Immédiatement à la sortie de Joyeuse, la route traverse le ruisseau de Bourdaric sur un pont, le pontem de Bordarico attesté dès 1342 ( 3762 ). Le cadastre permet ensuite de suivre le tracé routier par Jamelle, Laveyrune, puis par l’est de Notre-Dame-du-Bon-Secours. A ce niveau, il a partiellement disparu du cadastre, mais plusieurs limites de parcelles en conservent encore le souvenir ( 3763 ).

Vers le sud, il se dirige en direction du hameau de Pazanan qui porte, en 1251, le nom de manse de la Strata de Nan que frère Pons Ferrier, précepteur de la maison de Jalès, vend pour moitié à Etienne et Jean de la Clapissa ( 3764 ). La moitié cédée confronte la strata publica de Nan qui n’est autre que la route de Joyeuse à Saint-Ambroix par Beaulieu. Le passage de la route à Pazanan apparaît implicitement en 1283-1284 lors d’un conflit de juridiction qui éclate entre le viguier royal d’Uzès et le précepteur de Jalès au sujet de l’érection de fourches patibulaires dont on sait qu’elles sont des jalons précis des tracés routiers ( 3765 ). Le hameau de Pazanan marque en effet la limite de la terre de Jalès en direction du nord. Le toponyme Pazanan lui-même renvoie au passage de la route puisque ce n’est qu’une corruption de la forme ancienne « Pas de Nan », le passage de Nan.

Entre le Pazanan et le Chassezac, le cadastre permet de restituer un tracé tout à fait proche de celui de l’actuelle R.N. 104. Il ne s’en écarte que de quelques dizaines de mètres en certains secteurs comme au droit de la Combe Louba, où la route ancienne passe plus à l’est que le tracé actuel.

La route traverse le Chassezac au sud de Saint-Laurent-des-Avonas, actuellement Maisonneuve, sur un bac situé au quartier des Lèbres. Le navigium dicte domus de Jelesio, portus nominati de Leporibus rapporte 4 livres en moyenne par an à la commanderie de Jalès en 1312 ( 3766 ), revenus qu’elle afferme en 1380 ( 3767 ). C’est ce bac qu’empruntent les troupeaux transhumants de l’Hôtel-Dieu du Puy de retour de la Crau en 1531, le berger payant alors 22 sous « en passant l’aigue » ( 3768 ). La localisation du bac est difficile, mais eu égard aux tracés routiers, il est probablement dans le secteur du pont actuel, ou une cinquantaine de mètres en aval tout au plus ( 3769 ).

message URL Calcaire7.gif
Carte n°164

A partir du bac et jusqu’à Beaulieu, nous suggérerons l’existence de deux itinéraires parallèles, l’un attesté par la documentation médiévale, l’autre proposé à l’aide du cadastre.

Le premier est mentionné en 1270 lors de la transaction sur les limites des territoires de la commanderie de Jalès et de Bec-de-Jun ( 3770 ). Un chemin vicinal forme encore la limite des communes actuelles de Berrias et de Beaulieu et suit les bornes fixées en 1270. Il peut donc s’agir du tracé routier médiéval maintenant abandonné par le grand trafic. Ce dernier est net par Félines, la Basse-Croisée puis enfin Beaulieu.

Le second tracé est proposé avec l’aide du cadastre napoléonien uniquement. La très bonne continuité de l’axe et son excellente inscription dans le parcellaire nous incitent en effet à en faire un chemin ancien. Après les Lèbres, la route se dirige vers Vacher où elle oblique au sud alors que l’axe conduisant vers Pont-Saint-Esprit continue droit. Néanmoins, à l’heure actuelle, l’aménagement de la voie ferrée a perturbé le secteur au point qu’il est difficile de comprendre la disposition ancienne sur le terrain ( 3771 ). A partir de Vacher, elle apparaît sur le cadastre comme le « chemin de Chazalis à Beaulieu » ( 3772 ).

A partir de Beaulieu, le tracé ne semble avoir subi que quelques modifications très ponctuelles et se confond pour l’essentiel avec l’actuelle R.D. 225, passant par le Baysse, non loin de Beaulieu, puis Pléoux. Ce n’est qu’après Pléoux que de très nets aménagements liés au roulage sont repérables dans le vallon de Couonchy, puis au lieu-dit de la Chapelette. Juste avant la Chapelette, la route longe le ravin de la Devalade, toponyme particulièrement évocateur de la forte pente que le tracé affronte sur quelques centaines de mètres ( 3773 ). La route arrive ensuite à Saint-André-de-Cruzières où elle croise celle venant de Barjac et se rendant aux Vans.

Au-delà de Saint-André-de-Cruzières, la continuité de la route est nette par Pierragras. Après Pierragras, la route figurant sur la carte de Cassini se dirige vers le lieu-dit de Reboulet avant de descendre sur Saint-Brès. Néanmoins, le cadastre napoléonien permet de proposer un autre itinéraire. En effet, en 1840, celui passant par Reboulet s’inscrit mal dans le parcellaire et porte le nom de « route de Saint-Ambroix à Saint-André (de Cruzières) », alors que le tracé précédent encore baptisé « chemin de Saint-Ambroix à Saint-André (de Cruzières) doit correspondre au tracé ancien ( 3774 ). A la sortie du hameau de Pierragras, le tracé médiéval suit donc pour quelques centaines de mètres celui de la R.D. 225 avant que celle-ci n’oblique nettement à l’est tandis que la route ancienne traverse le plateau des Gras en direction du sud pour rejoindre le quartier de Bournac puis le mas de Vinçonnet et le quartier du Pont où se greffe la route venue de Joyeuse par les Vans.

A partir du hameau du Pont, la route suit pratiquement le même tracé que l’actuelle R.N. 104, passant par le mas Barafor et la Liguière. Entre la Liguière et Saint-Ambroix, le tracé ancien diverge toutefois quelque peu de la route actuelle. Il est facilement identifiable sur le cadastre napoléonien, le tracé actuel étant probablement issu de travaux alors récents dans la mesure où il s’insère mal dans le parcellaire. Le tracé ancien passe plus au sud, au bord de la Cèze même, par le quartier de « Route royale » ( 3775 ).

message URL Calcaire8.gif
Carte n°165

Immédiatement de l’autre côté du pont, la route passe devant les murs de l’hôpital de Saint-Ambroix ( 3776 ) puis entre en ville par la « porte du Pont » ( 3777 ) qui débouche sur la « rue des Marchands » ( 3778 ). La route devient ensuite la rue principale du castrum et de son extension urbaine tardi médiévale où elle prend, en 1380, le nom de carreria recta ( 3779 ). Elle en ressort au sud par la porte dite « porte d’Alès » ( 3780 ). Pour finir, un péage se lève à Saint-Ambroix. Mal renseigné, il n’apparaît toutefois qu’au début du XVè dans une « Lettre du Roy Charles de 1404 qui deffend audit seigneur de Portes Bertrand destablir un péage à Alzon, Alègre et Rochegude au préjudice de celuy de Saint Jean de Maruejols de Saint Ambroix appartenant au Roy et à l’évesque d’Uzes, avec le procès verbal de la procuration contre l’établissement d’ycelui » ( 3781 ).

Notes
3758.

) AD 07, C 760.

3759.

) AD 13, 56H 5231 (vidimus de 1445), AD 13, 56H 5219 (original).

3760.

) AD 13, 56H 5225.

3761.

) AD 13, 56H 5240.

3762.

) AD 07, 2E (MJ) 1, f°16v°.

3763.

) Lablachère, cadastre de 1809, section D dite du Gras.

3764.

) AD 13, 56 H 5224.

3765.

) Cf. Le Blévec (D.) : « La seigneurie des templiers de Jalès », art. cité, p. 48.

3766.

) AD 13, 56H 5235.

3767.

) AD 07, 2E 1345, f°43v°.

3768.

) Merle-Comby (M.-Ch.) : « Quand les moutons de l’Hôtel-Dieu hivernaient en Provence », art. cité p. 115-116.

3769.

) Chandolas, cadastre de 1809, section E dite de la Maisonneuve.

3770.

) AD 13, 56H 5231 (vidimus de 1445), AD 13, 56H 5219 (original).

3771.

) Beaulieu, cadastre de 1809, section A dite de Bonnemontesse.

3772.

) Beaulieu, cadastre de B dite de Masseau.

3773.

) Saint-André-de-Cruzières, cadastre de 1831, section A3 dite de Chadoulier.

3774.

) Saint-Brès, cadastre de 1840, section C2 dite des Gras.

3775.

) Saint-Ambroix, cadastre de 1839, section A1 dite du Paradis.

3776.

) Liotard (G.) : « Saint-Ambroix et son rôle militaire », art. cité, p. 66.

3777.

) AD 30, C 1304.

3778.

) AD 30, 1110W 654.

3779.

) AD 07, 2E 1345, f°5v°.

3780.

) Liotard (G.) : « Saint-Ambroix et son rôle militaire », art. cité, p. 65.

3781.

) AD 30, A 1, f°266.