e- De Saint-Ambroix à Alès

Après Saint-Ambroix, la route se dirige vers Alès. Entre Saint-Ambroix et Alès, nous la trouvons mentionnée au XIVè siècle à Rousson ( 3841 ), puis dans la paroisse de Saint-Julien-de-Valgalgues ( 3842 ). L’axe médiéval, présenté en 1668 à Louis de Froidour, réformateur général des Eaux et Forêts de Languedoc ( 3843 ), suit donc un tracé correspondant globalement à l’actuelle R.N. 104. A la sortie de Saint-Ambroix, la route emprunte le vallon de la Vivaraise dans lequel elle se confond avec la R.N. 104 jusqu’au niveau de Larnac où elle est mentionnée en 1406 ( 3844 ). Ensuite, à la différence de la route actuelle, le cadastre montre clairement que le chemin ancien passait dans les Mages même. Après les Mages, la route continue par Mas Carré jusqu’au hameau d’Avène où elle traverse le ruisseau du même nom. Non loin de l’aplomb du pont actuel, un gué est encore visible, entaillé de profondes ornières creusées par les roues des attelages ayant traversé l’Avène. Une fois l’Avène franchie, la route passe au pied du château de Rousson, puis aux Rosiers où quelques travaux modernes ont modifié son tracé qui est encore nettement identifiable sur le cadastre napoléonien. La route de Saint-Ambroix rejoint ensuite le chemin de Régordane au droit de la maladrerie d’Alès située au quartier de Bruèges et qui en 1449 confronte les deux routes ( 3845 ). A ce niveau arrive aussi la route d’Alès à Pont-Saint-Esprit par Barjac.

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Carte n°172

Au-delà d’Alès, la route sort de notre domaine d’étude. Précisons toutefois que la ville constitue un carrefour routier important d’où partent des axes majeurs en direction d’Uzès et d’Avignon ( 3846 ), de Bagnols-sur-Cèze ( 3847 ), de Nîmes ( 3848 ) et de Montpellier ( 3849 ) par Sommières ( 3850 ) ou Quissac.

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Carte n°173

L’importance de la route de Privas à Alès aux trois derniers siècles du Moyen Age est difficile à cerner dans la mesure où plusieurs types de trafic se cumulent tout au long du trajet. En effet, le chemin du pied des Cévennes ouvre sur des directions très diverses.

Tout d’abord, c’est un axe plus court que la vallée du Rhône pour aller de Lyon à Nîmes ou plus encore à Montpellier. Longeant au plus près le bord des Cévennes, il épargne plus de soixante kilomètres de trajet au voyageur, soit presque deux jours de marche, par rapport à la route de la vallée du Rhône. Aucun texte ne nous livre toutefois le nom d’une personne ayant emprunté cet itinéraire. Il est vrai que tout en étant plus court, il a dû être sérieusement concurrencé par la vallée du Rhône dès lors que la curie s’est installée à Avignon.

Outre les relations entre le nord de l’axe rhodanien et le Languedoc, la route de Privas constitue une rocade desservant tous les axes de pénétration importants s’enfonçant au coeur du Massif-Central par le Vivarais, prolongeant en cela le chemin de Ganges à Alès. Ainsi, le chemin de Régordane s’en détache au niveau d’Alès, puis la route de la vallée de la Cèze à Saint-Ambroix, et ensuite les routes des Cévennes vivaroises aux Vans et à Joyeuse pour finir par les routes des abords de la vallée de l’Ardèche à Aubenas et celle traversant le plateau vivarois qui s’en sépare au col de l’Escrinet. C’est cette situation qui lui apporte le plus de trafic et qui lui confère un rôle majeur dans le cadre des liaisons entre Languedoc, d’une part, et Massif-Central et nord de la France d’autre part. Ainsi, en 1434, les voyageurs qui passent à Saint-Laurent-les-Bains pour se rendre de France à Montpellier ( 3851 ) débouchent-ils sur la route de Privas à Alès au niveau des Vans, continuant leur voyage par Saint-Ambroix et Alès. Il en est de même des Foreziens qui, à partir du XIVè siècle, délaissent le chemin de Régordane au profit de la route du pied des Cévennes qu’ils rejoignent par Le Puy et Aubenas, ou par le Puy et Mézilhac, ou encore par les Cévennes Vivaroises ( 3852 ). Publiée par Robert-Henri Bautier et déjà exploitée à plusieurs reprises, l’affaire de contrebandes d’argent à destination des foires de Genève, démasquée en Dauphiné en 1424, touche aussi la route de Privas à Alès ( 3853 ). Le second convoi de contrebandiers l’emprunte sur la section Aubenas - Le Pouzin. Venant du sud-ouest, les muletiers passant par Mende débouchent à Aubenas sur la route et poursuivent leur chemin par le col de l’Escrinet puis Privas, la vallée de l’Ouvèze et le Pouzin.

L’intérêt géographique d’un tel axe est évident en période hivernale : venant du nord de la France, le voyageur risque de rencontrer des difficultés de circulation liées au mauvais temps peu avant le Puy. En empruntant le chemin de Régordane, il chemine ensuite à une altitude élevée jusqu’au niveau de Villefort, soit sur plus de soixante-dix à quatre-vingt kilomètres. Par contre, en passant par Aubenas et le pied des Cévennes, le tronçon à la viabilité difficile se limite à une quarantaine de kilomètres tout au plus, passage après lequel le voyage se poursuit à basse altitude dans une région au climat méditerranéen. Le climat doit donc être un facteur important jouant en faveur de l’axe du pied des Cévennes.

Route importante à la fin du Moyen Age, il est aussi probable que nous soyons sur un chemin d’origine antique. Néanmoins, les preuves directes manquent, en l’absence de bornes milliaires ou d’ouvrages d’art assurément gallo-romains. Toutefois, remarquons la densité du peuplement antique tout au long de la route, à commencer par le bassin de Privas au nord. Sur le long du tracé, entre Privas et Aubenas, quelques découvertes antiques jalonnent aussi la route passant par Saint-Laurent-sous-Coiron. Ainsi, non loin de Pramailhet, le site de Ladou a livré une abondante quantité de mobilier du Bas-Empire ( 3854 ). Pour sa part, le bassin d’Aubenas apparaît comme l’un des secteurs les plus densément occupé dès la protohistoire et l’antique gallo-romaine ( 3855 ). A Aubenas, le tracé antique devait toutefois être très différent de celui suivi par le chemin médiéval. En effet, l’agglomération albenassienne est issue du mouvement d’incastellamento, le peuplement antique et altimédiéval se concentrant uniquement dans la plaine alluviale de l’Ardèche. Descendant du col de l’Escrinet par le même tracé que la route médiévale, c’est au niveau de Saint-Privat que les deux routes, antique et médiévale divergent. Alors que la route médiévale continue vers l’ouest jusqu’au Pont-d’Aubenas avant de monter vers le castrum d’Aubenas, le chemin antique traverse l’Ardèche sur un gué rocheux encore nettement visible se situant dans l’axe de la limite des communes de Saint-Privat et d’Ucel. Ensuite, au sud de l’Ardèche, la route antique est clairement identifiable jusqu’à Saint-Etienne-de-Fontbellon en passant par le quartier des « Chaussades », à l’origine viaire évidente, puis par ceux du Moulon et de Bellande. Dans toute la traversée de la plaine d’Aubenas, le tracé antique est totalement rectiligne, exception faite de quelques circonvolutions mineures imposées par le relief. Il est net que cette route est la plus ancienne, sur laquelle se greffent tous les autres chemins du secteur.

Au sud d’Aubenas, les communes de Vinezac, Laurac et Uzer ( 3856 ) où passe la route, ont livré plusieurs sites gallo-romains, de même que Rosières, Lablachère ou Les Assions ( 3857 ). Deux méritent toutefois une attention plus particulière dans la mesure où leur lien avec la route est plus étroit. Le premier est une nécropole impériale mise au jour en 1909 et 1912 ( 3858 )au quartier de l’Hôpital, à Vinezac. Alors que l’on connaît l’étroite association entre implantation funéraire antique et réseau viaire, on ne peut que remarquer l’étroite proximité de la route et des sépultures, association permettant de penser que le chemin était déjà probablement en place au moment des inhumations. Le second site lié à la route est situé à Drôme, sur la commune de Lablachère. Il s’agit du mausolée Jallius Bassus, consul et gouverneur de province, d’origine helvienne, connu par son épitaphe retrouvée non loin du site et par une dédicace découverte à Rome. Le mausolée, dont il subsiste encore un pan de mur est nettement visible depuis la route, situé à 50 mètres tout au plus de son tracé, au bord d’un petit plateau dans une position extrêmement ostentatoire et dominatrice qui sied à ce type de sépulture privilégiée. Loin d’être isolé, le mausolée est en outre entouré d’une nécropole ayant été utilisée jusqu’à la période mérovingienne, et de plusieurs éléments bâtis, identifiés comme appartenant à une importante villa ( 3859 ).

La densité de sites antiques tout au long de la route permet de penser qu’un premier tracé existait dès lors. Au niveau de Joyeuse, alors que la route médiévale se sépare en deux tracés parallèles assez éloignés, par Beaulieu ou par Les Vans, il est probable que le tracé antique soit celui passant par Beaulieu. C’est en effet d’une part le chemin le plus direct, le détour par les Vans ne se comprenant pas avant l’existence de cette bourgade agglomérée autour du prieuré Saint-Pierre. En outre, le tracé de Beaulieu apparaît nettement comme le plus ancien au niveau du carrefour de Saint-Brès lorsque celui venant des Vans le rejoint. Ce dernier doit traverser le ruisseau de Gamal et se greffe à angle droit sur la route de Beaulieu.

Très probable chemin antique, rien ne nous renseigne sur son importance d’alors. Toutefois, on peut avancer que ce n’était pas un itinéraire majeur dans la mesure où l’axe important attesté par de nombreux milliaires était la voie d’Antonin-le-Pieux, qui lui est parallèle à une dizaine ou une quinzaine de kilomètres à l’est, reliant Alba à Nîmes. Il est donc peu envisageable que deux voies importantes aient existé aussi proches l’une de l’autre, et la route du pied des Cévennes ne devait être alors qu’un axe de desserte assez local mettant en relation les centres de peuplement de la frange occidentale du Bas-Vivarais calcaire.

Notes
3841.

) Fonds privé de la région de Rousson.

3842.

) AD 30, 1E 2768.

3843.

) Girault (M.) : La visitation du chemin appelé Régordane effectuée par Louis de Froidour en 1668, op. cit., vol. 1, p. 195 et ss.

3844.

) AD 34, 2E 96/1, f°41.

3845.

) AD 13, 56H 3017.

3846.

) AM Alès, 1G 0, f°33.

3847.

) Ibidem, f°50.

3848.

) AD 34, 2E 96/1, f°49.

3849.

) AD 34, G 1245.

3850.

) AN, J 295.

3851.

) AD 34, A 10, f°267v°.

3852.

) Fournial (E.) : Les villes et l’économie d’échange en Forez aux XIII è et XIV è siècles, op. cit., p. 356-357.

3853.

) Bautier (R.-H.) : « Marchands, voituriers et contrebandiers du Rouergue et de l’Auvergne, Trafics clandestins d’argent par le Dauphiné vers les foires de Genève (1424) »,art. cité, p. 677.

3854.

) Blanc (A.) : Carte archéologique de la Gaule romaine, fascicule XV, Ardèche, op. cit. , p. 60.

3855.

) Cf. Saumade (H.) : « L’implantation gallo-romaine dans la région albenassienne », art. cité.

3856.

) Blanc (A.) : Carte archéologique de la Gaule romaine, fascicule XV, Ardèche, op. cit. , p. 61.

3857.

) Ibidem , p. 39 et ss.

3858.

) Entrevaux (B.) d’ : « Découverte archéologique à Vinezac », art. cité, p. 193.

3859.

) Cossalter (N.) : Les mausolées antiques du département de l’Ardèche, programme H2, op. cit.