L’Itinerarium de Brugis, célèbrissime routier compilé au XVè siècle ( 3904 ), indique comme localités étapes sur la route du Puy à Avignon Villenoue III, Sermonta II, Boint Saint Audooly II, Bayeus ( 3905 ). Viviers, pourtant cité épiscopale du rivage rhodanien n’y figure pas alors que la route principale y passe ainsi que l’attestent les actes de la pratique beaucoup plus précis que le guide routier. Au contraire, le chemin suivit par l’itinéraire s’apparente à un raccourci empruntant la vallée du Négue, petit affluent de l’Escoutay en rive sud, de Saint-Thomé à Saint-Montan. Ce court chemin orienté nord-sud double la route de la vallée du Rhône par l’intérieur du Bas-Vivarais calcaire sur une quinzaine de kilomètres tout au plus. Il a fait l’objet d’une approche assez précise de la part de Pierre Arnaud ( 3906 ) qui le considère comme un tracé probablement antique. Nous reprendrons ici l’essentiel de son propos en précisant uniquement quelques points de passage au travers de la documentation d’Ancien Régime ou médiévale.
La route allant à Saint-Montan se sépare de celle de la vallée de l’Escoutay au droit du village de Saint-Thomé. Sur toute la traversée de cette paroisse, c’est un compoix de 1615 ( 3907 ) qui nous fournit les éléments les plus précis. Dès son embranchement sur la route de la vallée de l’Escoutay, au hameau des Crottes où se trouve le carrefour, la route apparaît au compoix comme le « chemin des Crottes au Bourg » ( 3908 ). En 1615, l’Escoutay est traversée sur un « Pontet » dont nous ignorons toutefois s’il existait déjà au Moyen Age et dont il ne reste plus rien à l’heure actuelle. En rive sud, la route passe au lieu-dit de Charnève où une terre de Claude Molin confronte « le Grand Chemin » ( 3909 ). Ensuite, elle traverse la vallée du Négue probablement face à Saint-Thomé où le cadastre indique encore la présence d’un gué. En rive droite du Négue, le « chemin de Bourg aux Crottes » est mentionné confrontant une terre située au quartier de Champoulas ( 3910 ). Pierre Arnaud fait passer ce chemin en bordure du ruisseau de Négue jusqu’au hameau de Dausseron, puis il le trace gravissant rapidement la montagne de Vaugrand. Néanmoins, aucun chemin n’est visible sur le cadastre, ni rien qui puisse laisser suggérer qu’il en ait existé un. Faute de tout argumentaire de sa part, nous ne pouvons souscrire à une telle affirmation et suggérons, au contraire, que le chemin médiéval suivait le même tracé que celui figurant au cadastre napoléonien. Ce dernier s’élève à partir de Chastanaret ( 3911 ) en direction du sud, empruntant les contreforts du vallon de Vaugrand qui l’amène directement au hameau de Vaugrand où, toujours en 1615, il longe une terre figurant au compoix et prenant alors le nom de « chemin de Bourg aux Crottes » ( 3912 ). Au niveau de Vaugrand, il figure au compoix sous le nom de « chemin ferrat » ( 3913 ). Au-delà de Vaugrand, le « chemin de Saint-Thomé au Bourg » ou « des Crottes au Bourg » confronte encore plusieurs terres situées dans la plaine de Bayne ( 3914 ). Après Bayne, la route quitte la paroisse de Saint-Thomé pour entrer dans celle de Saint-Montan. Sur le cadastre napoléonien de Saint-Montan, sa continuité est très nette. Elle y figure sous le nom de « route de Saint-Montant aux Crottes » ( 3915 ). Le cadastre nous permet de penser que le tracé ancien passait par le hameau du Moure, puis par Le Ranc, avant de contourner la serre du Bouc par l’est ( 3916 ). Sur les cinq kilomètres séparant la Croizette de Saint-Montan, la vallée du ruisseau d’Ellieux forme un passage direct et sans obstacle, la route longeant son rebord est. Pierre Arnaud trace pour sa part une route passant par le hameau d’Ellieux même, mais rien ne nous semble pouvoir justifier un tel détour au mépris de la continuité de l’itinéraire, puisqu’il impose deux changements brusques d’orientation ( 3917 ).
Au-delà de Saint-Montan, le cadastre sur lequel figure le « chemin de Saint-Montan à Bourg-Saint-Andéol » ( 3918 ) permet de suivre la route par le gué de Mirtailla ( 3919 ) et Cousignac ( 3920 ) jusqu’au lieu-dit de la Croix-Blanche. A ce niveau, le toponyme « la Justice », situé au passage du ruisseau de Clayas, conserve peut-être le souvenir de fourches plantées, non loin de la probable limite des mandements de Bourg et de Saint-Montan. A ce niveau, à la Croix-Blanche, la route de Saint-Thomé rejoint celle de la vallée du Rhône. Signalons en outre que cette dernière section, de Saint-Montan à Bourg, peut aussi servir d’itinéraire doublant la route de la vallée du Rhône entre Bourg et Viviers, puisqu’elle est dite chemin de Viviers alors qu’il longe en 1393 un jardin situé aux Claux ( 3921 ).
L’importance de cette route est difficile à appréhender. Le terme de « chemin ferrat » employé au début du XVIIè siècle pour la désigner laisse penser que c’est encore une route importante, ou au moins que le souvenir de son importance s’est perpétué jusqu’alors. En outre, nous l’avons dit, l’Itinerarium de Brugis la mentionne probablement comme une section de la route du Puy à Avignon. Néanmoins, les actes de la pratique désignent systématiquement la route de Viviers et celle de la vallée du Rhône comme le chemin principal. Il faut donc proposer que la route de Saint-Thomé à Saint-Montan soit un itinéraire détourné permettant d’éviter la cité épiscopale et de s’épargner quelques kilomètres de voyage. Cependant, quelle proportion de voyageurs préférait s’engager au coeur même du plateau calcaire dans des vallons arides et guère peuplés plutôt que de passer par la riche et commerçante cité de Viviers ? Sans doute assez peu, fut-ce au prix de quelques kilomètres supplémentaires.
Pierre Arnaud considère que la route de Saint-Thomé à Saint-Montan et à Bourg est un possible itinéraire antique. Pour notre part, nous serons réservés sur cet état de fait. En effet, la première partie du tracé, entre Saint-Thomé et Saint-Montan, apparaît vierge de tout peuplement antique ou presque ( 3922 ). Par contre, la seconde moitié du tracé, entre Saint-Montan et Bourg, est assez densément bordée de sites antiques ou paléochrétiens bien attestés ou de toponyme comme Cousignac renvoyant à la période gallo-romaine ou au très haut Moyen Age. Néanmoins, faut-il y tracer une route ? Ce n’est alors sans doute qu’un simple sentier local ne remontant probablement pas jusqu’à Saint-Thomé, mais desservant uniquement les terroirs situés quelques kilomètres à l’écart de la vallée du Rhône.
) Hamy (E.-T.) éd. : Le livre de la description des pays de Gilles le Bouvier, dit Berry, premier roi d’armes de Charles VII, Roi de France, publié pour la première fois avec une introduction et des notes et suivi de l’itinéraire Brugeois, de la Table de Velletri et de plusieurs autres documents géographiques inédits ou mal connus du XV è siècle, op. cit., p. 183.
) Villeneuve-de-Berg, Saint-Montan, Bourg-Saint-Andéol, Bagnols-sur-Cèze.
) Arnaud (P.) : Les voies romaines en Helvie, op. cit., p. 155-159.
) AD 07, 3E 200 bis.
) Ibidem, f°198v°. Il s’agit ici de Bourg-Saint-Andéol.
) Ibidem, f°220.
) Ibidem, f°418.
) Saint-Thomé, cadastre de 1811, section B dite des Ramières.
) Ibidem, f°228v°.
) Ibidem, f°230v°.
) Ibidem, f° 292v°.
) Saint-Montan, cadastre de 1829, tableau d’assemblage.
) Saint-Montan, cadastre de 1829, section A2 dite du Village.
) Arnaud (P.) : Les voies romaines en Helvie, op. cit., p. 159.
) Saint-Montan, cadastre de 1829, tableau d’assemblage.
) Saint-Montan, cadastre de 1829, section F1 dite de l’Hermitage.
) Bourg-Saint-Andéol, cadastre de 1829, section A2 dite de Rochecolombe.
) AN, Q1 31.
) Renseignement Christelle Fraisse, centre de documentation archéologique d’Alba-la-Romaine.