Introduction générale

Pour nous, l’apport spécifique de la physique (et de la chimie) à la formation des lycéens consiste en l’apprentissage des rapports dialectiques entre la pensée et la réalité qu’elle est chargée d’appréhender, dans l’ordre particulier des phénomènes inanimés. En mathématiques, le problème est différent : la pensée se trouve confrontée à sa propre exigence de rigueur et de cohérence ; en biologie, la complexité du vivant est bien plus grande. En physique, la réussite consiste, s’appliquant à des systèmes relativement simples, à construire un modèle de la réalité assez fidèle pour qu’une prédiction faite à partir de ce modèle concorde assez précisément avec la réalité, ou plus exactement avec le champ expérimental construit pour en tenir lieu ; c’est le cas le plus fréquent dans un contexte scolaire.

Nous nous sommes donc fixé comme objectif d’étudier sur une durée suffisamment longue les rapports entre une situation d’enseignement, et en particulier l’explicitation des phénomènes de modélisation, et l’apprentissage réalisé.

Ce travail a consisté d’abord à construire une séquence d’enseignement, puis à la mettre en oeuvre et à observer son déroulement dans le premier trimestre de l’année scolaire 1996-1997. En ce sens il s’agit d’une démarche d’ingénierie didactique, la séquence d’enseignement ne constituant pas une fin en soi, mais un moyen de mener une recherche sur l’apprentissage réalisé dans un certain contexte que nous préciserons. La séquence en question traite le programme de la spécialité Sciences Physiques de la classe de Terminale, dans le domaine de la formation des images.

Toute conception de séquences d’enseignement se fonde obligatoirement sur un choix sur les finalités qu’on attribue à l’enseignement de la physique à ce niveau, en lycée. La comparaison des programmes consécutifs de Seconde en fournit un bon exemple récent. On peut caractériser en effet les objectifs de l’ancien programme (celui applicable depuis la rentrée 1993) en disant qu’il s’agissait de donner aux élèves, à tous les élèves (qu’ils se destinent ou non à une carrière scientifique), des moyens conceptuels de comprendre leur environnement : les phénomènes élémentaires du courant électrique, si fréquents dans la vie courante, les phénomènes sonores, quelques éléments d’optique, renvoyant à deux de nos sens. C’était d’ailleurs un élément affirmé nettement dans les Principes Directeurs des programmes (BOEN, 1992, p. 75) : ‘« l’enseignement doit faire ressortir que la physique est un élément de culture essentiel en montrant que le monde est intelligible et que l’extraordinaire richesse et complexité de la nature peut-être décrite par un petit nombre de lois physiques universelles qui constituent une représentation cohérente de l’univers »’. On peut caractériser les objectifs du nouveau programme de Seconde, qui prendra effet à la rentrée 2000, comme visant à donner à tous les élèves une idée du fonctionnement de la physique en tant que discipline de professionnels, les chercheurs. C’est d’ailleurs ce qui est affirmé dès le début de la présentation générale du nouveau programme : « L’enseignement des sciences au lycée est d’abord conçu pour faire aimer la science aux élèves, en leur faisant comprendre la démarche intellectuelle, l’évolution des idées, la construction progressive du corpus de connaissances scientifiques » (BOEN, 1999, p. 5).

Cela dit, une chose est de se fixer des objectifs, une autre est de les atteindre : l’analyse que mène Caillot (1996, pp. 29 à 33) des différences entre les programmes de physique et ceux de chimie en classe de Seconde, applicables à la rentrée de 1993, le conduit à conclure que ‘« la référence de l’enseignement de la physique reste celle de la démarche du physicien chercheur qui cherche une explication cohérente du monde et de l’univers »’ (p. 31). Tout est relatif ...

Notre choix, appliqué dans cette séquence, est plus proche des objectifs de l’ancien programme, dans lequel d’ailleurs elle est institutionnellement inscrite et qu’elle s’efforce de respecter, que du nouveau programme. Nous pensons en effet que c’est principalement en leur montrant que la physique est un outil utile pour rendre leur environnement immédiat intelligible qu’on parvient à « faire aimer la science aux élèves », et qu’on peut tenter ‘« d’enrayer une certaine désaffection pour la physique, constatée récemment dans plusieurs pays occidentaux »’ (BOEN, 1999, p. 7).

Voilà pourquoi notre travail s’attache à étudier de près la construction de modèles au cours d’une séquence d’enseignement plutôt classique (nous verrons dans quelle mesure), sur un sujet étroitement relié à la vie quotidienne des élèves, la formation des images. L’optique peut apparaître en effet comme un moyen de réfléchir sur le sens que nous utilisons le plus fréquemment.

Dans cette perspective, le recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication est souvent mis en avant comme un moyen de faciliter les apprentissages et d’intéresser les élèves, qui aura de profondes répercussions qualitatives sur l’enseignement. C’est ainsi que d’après une étude réalisée par l’institut IPSOS pour le compte du Ministère de l’Éducation Nationale et publiée en mars 1999 (IPSOS, 1999), portant sur 814 étudiants en université et dans les STS, une sensibilisation existe sur l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement : 86 % des étudiants interrogés estiment que ‘« les ordinateurs modifieront à l’avenir la manière d’étudier, et 78 % [qu’ils modifieront] la manière d’enseigner »’. Les programmes et leurs commentaires ne se font pas faute de le mentionner.

Depuis longtemps les ordinateurs sont entrés dans les salles de physique. Jusqu’à présent, leur mode d’utilisation prioritaire a été l’acquisition ou le traitement de valeurs numériques : un ordinateur en salle de physique réunit les fonctions de voltmètre numérique doté d’une mémoire et de supercalculatrice. Plus rares sont les utilisations en traitement d’image ou en simulation.

A partir du moment où l’ordinateur est utilisé en Sciences Physiques principalement pour faire des calculs et des acquisitions de valeurs expérimentales, il est naturel que la discussion sur l’opportunité de son usage se centre sur sa rapidité, son efficacité, la possibilité qu’il offre de refaire plusieurs fois les mêmes expériences, tous sujets de débats qu’on retrouve habituellement dans la littérature consacrée à l’enseignement de la physique. Si par contre on utilise cet outil pour faire de la simulation ou de la modélisation, la discussion change de nature et d’objet : elle porte désormais sur les modifications que l’usage d’un tel outil apporte aux savoirs enseignés, sur la définition de situations d’enseignement pertinentes et sur la nature des apprentissages réalisés dans de telles situations. Dès lors il ne s’agit plus de savoir si cet outil est plus efficace qu’un enseignement qu’on jugerait ’traditionnel’ et qui ne l’utiliserait pas ; il ne s’agit plus de mener des études comparatives, puisque ce qui est appris est différent ; il s’agit de savoir ce qui est appris et comment, par quels processus.

Autrement dit, l’objet de ce travail est bien la relation entre la situation d’enseignement et l’apprentissage réalisé, non dans l’espoir d’épuiser la question, bien trop vaste, mais en donnant un éclairage dans une certaine configuration de situation d’enseignement :

Cette première problématique définit le plan que nous allons suivre. Dans un premier temps (chapitres 1 à 4) nous allons définir le cadre théorique dans lequel nous allons nous placer, et préciser ce que nous retenons des travaux antérieurs dans quatre domaines :

Cette première partie permettra de formuler de façon plus précise nos questions de recherche (chapitre 5), puis les méthodes d’analyse que nous utiliserons (chapitre 6).

Dans une deuxième partie nous présenterons les résultats de notre travail, d’une part la séquence d’enseignement que nous avons construite (chapitre 7), puis les observations faites et les conclusions que nous en tirons sur les processus de modélisation à l’oeuvre chez les élèves observés et sur l’apprentissage réalisé (chapitres 8 et 9).