3. Les hypothèses sur le fonctionnement des élèves pratiquant la physique

Intéressons nous maintenant au comportement d’un individu placé en situation de « faire de la physique », que ce soit dans le contexte d’une classe ou dans le cadre de sa vie quotidienne. Il se trouve face à une situation où il doit réaliser certaines tâches. Le même mécanisme décrit précédemment en ce qui concerne la physique (c’est-à-dire la communauté des physiciens) s’applique, mutatis mutandi, en ce qui concerne cet individu (Tiberghien, 1994). Pour atteindre les buts qu’on lui fixe ou qu’il se fixe, il se construit un modèle de la situation, où il utilise des informations en provenance de plusieurs sources : ses connaissances antérieures, le dispositif matériel, le discours et les consignes de l’enseignant s’il existe. Mais bien sûr ce modèle ne sera en général pas conforme à celui que se serait construit un physicien confronté à la même situation matérielle, ne contiendra pas les mêmes éléments, et les relations entre éléments seront différentes elles aussi. La cohérence du modèle que se bâtit l’individu est souvent faible, si on prend comme référence le modèle ’du physicien’ ; cela n’empêche pas ce modèle de fonctionner.

A vrai dire, il y a de profondes différences entre l’attitude qu’on adopte dans la vie courante (même si on est par ailleurs un physicien chevronné) et une situation de classe ou de pratique professionnelle de la physique. Dans la vie quotidienne, l’objectif est d’obtenir un résultat. Une connaissance ou un ensemble de connaissances qui peut être erroné au regard de la physique peut se montrer parfaitement opératoire dans telle situation concrète. Nous garderons cependant le même formalisme pour ces deux types d’exercice de la physique.

Le schéma ci-dessous (figure 3) visualise les différentes influences qui agissent sur la construction du modèle de l’individu :

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Figure 1-3 : construction d’un modèle par un individu

Ce schéma exprime que le modèle que l’élève se crée d’une situation expérimentale est d’une part déterminé par sa théorie preexistante (dont il sera question de façon plus détaillée au paragraphe suivant), d’autre part par la situation que l’enseignant constitue en vue d’enseignement. Un point important, qui sera examiné ci-dessous, est que l’élève, en raison justement des limitations introduites par sa théorie preexistante, sélectionne dans le champ expérimental créé par l’enseignant certains des éléments que celui-ci y a mis, y ajoute d’autres éléments du monde des objets et des événements, que l’enseignant peut très bien juger non pertinents, et appuye la construction de son modèle, qui servira de base à ses raisonnements, sur une vue du monde réel qui peut différer de beaucoup de celle de l’enseignant.

La situation mise en place par l’enseignant comprend notamment le dispositif expérimental, les consignes écrites ou orales, l’ensemble des informations mises à disposition de l’élève.

Le chercheur peut reconstruire un modèle de ce modèle de l’élève (peu stable, lié à une situation) à partir d’un certain nombre d’observables : les représentations externes utilisées ou construites par l’individu, ses actions, ses déclarations.

Le type de fonctionnement qui est ainsi décrit est tout à fait compatible avec la classification (héritée de Piaget) en trois grands types des activités cognitives que font Lemeignan et Weil-Barais (1993, p. 20-25) : sélection de l’information, assimilation de nouvelles connaissances à des structures existantes, accommodation des structures existantes si une information « perturbante » le rend nécessaire. En effet, les rapports d’une expérience au modèle qu’on s’en fait sont typiquement du type « sélection de l’information » (cependant cet aspect sera précisé ci-dessous) ; la construction du modèle et certaines informations qu’il peut apporter au cours de son usage relèvent de l’assimilation des informations à une « théorie » préexistante ; par contre, le fonctionnement du modèle construit conformément à la théorie initiale peut très bien conduire à un conflit, ce qui peut provoquer un changement dans la structure de la théorie de l’élève, il y aurait alors accommodation.

Dès cet instant, les questions du fonctionnement cognitif de l’élève et de l’apprentissage s’interpénètrent, parce que le fonctionnement d’un individu dépend de ses acquis antérieurs, et non seulement de la situation dans laquelle il est placé. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre 2.