3.2 Comment l’élève perçoit-il le champ expérimental ?

De même que le physicien construit le champ expérimental qui lui servira à vérifier une théorie, de même que l’enseignant de physique construit son dispositif expérimental en fonction du contenu qu’il souhaite enseigner et de la façon dont il pense qu’il peut être enseigné, de même l’élève face à une expérience interprète ses perceptions en fonction de l’idée qu’il se fait de la théorie physique applicable et de ce qu’on lui demande (c’est l’aspect ’contrat didactique’). Il y a donc a priori une différence entre ce que l’élève prend en compte dans la construction de son modèle mental et ce que l’enseignant voudrait qu’il prenne en compte. Le schéma ci-dessous détaille ces écarts.

message URL FIG1-04.gif
Figure 1-4 : ce que l’élève perçoit du champ expérimental

La terminologie ’perception simple/perception épistémique’ est empruntée à Dretske (Meini 1996). Un objet ou un événement est ’perçu simplement’ quand des informations parviennent de l’objet aux organes sensoriels de l’individu mais ne donnent pas lieu à conceptualisation de sa part. Lorsque cette conceptualisation a lieu, et que l’individu fait intervenir ses connaissances et modes de raisonnement antérieurement acquis pour interpréter ces informations, Dretske parle de ’perception épistémique’. Au-delà de cette distinction entre simplement perçu et conceptualisé, l’élève peut décider de ne pas tenir compte de tel ou tel élément de la situation matérielle, parce qu’il pense que cet élément n’a pas d’importance ou ne rentre pas dans ce qu’on lui demande. Au contraire, il peut prendre en compte et chercher à expliquer des phénomènes qui ne font pas partie du dispositif expérimental prévu par l’enseignant ; c’est le cas d’un certain nombre de phénomènes dits ’parasites’, c’est-à-dire auxquels l’enseignant a décidé de ne pas s’intéresser, mais qui posent souvent des questions à l’élève.

Du point de vue de l’enseignement, ce décalage complexe entre les informations que l’enseignant pense que l’élève trouvera dans une activité expérimentale (parce que lui, enseignant, les a mises dans le champ expérimental) et les informations que l’élève y trouve effectivement (à cause des limitations qu’impose sa théorie-élève préexistante) ne peut que restreindre, si l’on n’y prend garde, l’efficacité des séquences d’activités expérimentales pour l’apprentissage.

Du point de vue de la recherche en didactique, Roth (1998, p. 1022) pointe le danger que la méconnaissance d’un tel écart fait courir à l’analyse : tenir « un discours qui met l’accent sur ce que les élèves ne savent pas (par comparaison avec un expert quelconque) plutôt que sur ce qu’ils savent ... [revient à] négliger la reconnaissance du fait que les étudiants n’opèrent pas dans les mêmes mondes ou avec les mêmes éléments que l’analyste. C’est-à-dire qu’alors que les analystes comparent les activités langagières et pratiques des étudiants dans leurs propres cadres (où elles peuvent sembler irrationnelles), une évaluation des mêmes activités dans les cadres des étudiants révèle souvent une grande cohérence interne. »