4. Difficultés des élèves et modélisation

Dans la mesure où la physique, comme théorie, se fixe pour objectif d’interpréter la réalité, le sens des concepts de physique doit être cherché dans les relations qui peuvent s’établir entre le niveau des objets/événements, et le niveau de la théorie/modèle. Si on fait abstraction de cette mise en correspondance des deux mondes, les relations entre concepts sont un jeu mathématique entre symboles.

Or on constate que beaucoup de problèmes que rencontrent les élèves en physique peuvent être interprétés comme une difficulté à établir ces relations entre les deux mondes. Dans son travail de thèse, par exemple, Becu-Robinault (1997, voir notamment les conclusions p. 229) a montré que dans une séquence de Travaux Pratiques classiques où les élèves (classe de Première, enseignement de l’énergie) devaient répondre à un certain nombre de questions, ils utilisaient systématiquement moins de niveaux de modélisation que ce que l’analyse a priori pouvait laisser prévoir :

‘« Lorsqu’une question adressée aux élèves ne relève que du seul modèle physique, les élèves ne mettent en oeuvre que ce niveau. Même lorsque la question met en jeu d’autres niveaux de modélisation, cela n’est pas suffisant pour que les élèves mettent en oeuvre les niveaux du monde des choses .... Il faut que le but de la question relève lui-même de l’un d’eux, ou que le professeur les incite ... l’utilisation d’éléments relevant du monde des choses n’est faite que sous la contrainte des consignes. »’

De la même façon, mais dans un contexte assez différent (étudiants en BTS de contrôle industriel et régulation, dans des activités de Travaux Pratiques classiques), Pateyron (1997, p. 246) tire les conclusions générales suivantes :

‘« [les étudiants] ont tendance à éviter, tant que cela reste possible, les savoirs « théoriques » du cours, les protocoles enseignés, les stratégies recommandées. Il semble que de telles mobilisations leur paraissent lourdes et pas forcement utiles en première approche. En effet ils ne convoquent explicitement les savoirs relatifs aux principes des appareils ou aux modèles de la régulation que lorsque surgit une nécessité, souvent consécutive à une difficulté, à une question (ou à un désaccord) posée et non résolue au sein du binôme, à un échec. C’est sans aucun jugement de valeur qu’il est possible de conclure à un fonctionnement « à coût cognitif » minimal des élèves (et du professeur) face à une tâche pratique et à une dominance du « savoir-faire » sur le savoir.... Le fait de reculer devant la mobilisation des savoirs du cours entraîne des méthode de réglage par suite d’essais et de tests assortis de vérifications en fonction du résultat escompté et de diagnostics envisageant des remédiations en cas d’échecs. »’

Tiberghien et Megalakaki (1995, p. 370) proposent deux « raisons » qui peuvent expliquer ces difficultés et ces évitements chez les élèves :

‘« The articulation needs to simultaneously process several types of representations : at least one in terms of objects and events (experimental field level) and the other in terms of the physical quantities and their interrelationships. The theory consists of basic explanatory principles in the world, and is therefore very « costly » to modify or to acquire in cognitive terms. It is easier for the students to modify some aspects of the model in order to make it fit with each experimental situation. However, theory acquisition is crucial, it gives meaning to the articulation between model and experimental field. »’

A notre avis, il faut comprendre la deuxième raison de la façon suivante : donner du sens au modèle en le reliant au champ empirique de référence fait courir un risque à l’élève : le risque de devoir remettre en cause sa théorie profonde. Il est moins coûteux pour lui de rester dans la manipulation de formules mathématiques, c’est-à-dire à l’intérieur du modèle, et de s’arranger pour que les résultats de cette manipulation soient compatibles avec par exemple le résultat de mesures, ou avec l’idée qu’il se fait de ce que l’enseignant attend de lui. Ce raisonnement est cohérent avec une tendance que tout enseignant a pu vérifier, pour la regretter bien sûr : la réticence des élèves à vérifier la vraisemblance du résultat d’un calcul.