2.2 La cognition située, ou l’impossible transfert

Weil-Barais (1994, pp. 508-509) caractérise en ces termes la position de Lave, représentante importante du courant de pensée dit « de la cognition située » :

‘« Lave constate que pour les individus, les analogies6 sont reconnues après coup, lorsque, au vu des résultats de l’action, les individus sont amenés à constater qu’ils procèdent de la même manière pour résoudre des problèmes ayant trait à des objets différents. Ainsi l’analogie reposerait sur la similitude des actions accomplies et non pas sur des invariants conceptuels, relationnels et procéduraux reconnus a priori. Une telle conception permet de comprendre pourquoi les phénomènes de transfert sont si rares à observer aussi bien dans les situations de laboratoire que dans les situations d’apprentissage par instruction. Lave défend l’idée que les connaissances se forment dans des activités ayant une finalité sociale. Elles prennent sens par rapport à la finalité des actions et non pas par rapports aux concepts scientifiques ... En quelque sorte, Jean Lave invite les psychologues de la cognition à abandonner l’étude du sujet épistémique pour aborder l’étude de l’homme situé socialement et historiquement ».’

Poussée à l’extrême, cette position théorique impliquerait que les connaissances antérieures n’ont que peu d’influence sur la gestion d’une situation par un sujet, puisqu’il reconnaît a posteriori les points communs entre cette situation et celles qu’il a connues antérieurement. Il agirait ainsi suivant des principes d’actions spécifiques à chaque situation, indépendamment d’idées préformées qu’il aurait disponibles dans son système cognitif.

Nous nous garderons d’une position aussi tranchée. Autant il est vrai que des analogies entre situations sont souvent reconnues après coup, et nos propres données en donneront des exemples, autant nous pensons que les actions d’un apprenant dans une situation donnée sont explicables par les connaissances qu’il a déjà construites à partir de situations antérieures.

Par contre nous souscrivons à l’argumentation suivante de Roth (1998, p. 1022) :

‘« Roschelle montre comment le discours de l’étudiant dans une situation donnée apparaît comme canonique et correct scientifiquement, mais non dans une autre situation. Traditionnellement, de telles variations étaient considérées comme du bruit dans la quête par les chercheurs pour identifier les « vraies » conceptions sous-jacentes. Si le discours est une action située ... nous devons bel et bien nous attendre à des variations dans le discours construit localement avec les ressources disponibles telles que les images et les perceptions, le discours antérieur etc. Les descriptions de ces variations deviennent des signaux dont on doit rendre compte dans les théories de l’apprentissage ».’
Notes
6.

Entre des situations « analogues », c’est-à-dire impliquant pour celui qui les a construites les mêmes connaissances.