2.3 Le parallèle avec la sociologie

La permanence des connaissances que manifeste un apprenant, ou même tout individu, pose donc une question : en quoi ces connaissances dépendent-elles de la situation dans laquelle l’individu se trouve ? Plusieurs points de vue s’opposent dans la communauté des sciences de l’éducation, en particulier des didactiques disciplinaires, et c’est ce qui vient d’être discuté dans le paragraphe précédent.

Il nous semble intéressant d’éclairer notre propre position par un parallèle avec une démarche analogue dans un tout autre domaine des sciences humaines, la sociologie de la famille.

Dans un ouvrage paru récemment, de Singly (2000, voir en particulier p. 27-28) décrit le « va-et-vient identitaire » d’un individu oscillant entre plusieurs comportements suivant qu’il est dans différentes situations de relations humaines : ‘« le soi-seul, le soi-avec-les-membres-de-la-famille, le soi-avec-des-proches-non-controlés-par-la-famille ... »’ (idem p. 27).

De Singly poursuit (idem p. 28) : ‘« cette multiplicité des formes que prend le moi selon les moments et les espaces conduit des sociologues à en conclure que le moi n’existe pas, ... qu’il n’est donc qu’une illusion7. C’est une erreur. Cette variation de soi, ce « soi multiple » se produit à un certain niveau (celui des situations), cela n’exclut pas qu’à un autre niveau, il y ait une unité. Ces deux niveaux ne sont pas indépendants. Ils interagissent. La variation de soi (de second niveau) n’est pas identique pour tous les individus, elle constitue un élément de définition de l’identité (de premier niveau) ... la stabilité relative de l’identité (à moyen et long terme) est associée à des mouvements à court terme que l’on nomme le va-et-vient identitaire ».’

De la même façon nous considérons que l’ensemble des activités cognitives d’un individu relève de deux niveaux : un niveau à moyen et long terme, l’ensemble des théories ou des pseudo-théories, des phénomènes primitifs, des connaissances enracinées quelle que soit leur origine ; et un niveau éminemment sensible aux situations, aux contextes et aux ressources disponibles, où les connaissances sont mobilisées de façon parfois fugace et versatile.

Ces deux niveaux interagissent. Deux individus différents, ne possédant pas le même « système cognitif stable » pour parler comme Niedderer & Schecker (1992) ne se conduiront pas de la même façon dans la même situation, et peut-être d’ailleurs ne la verront-ils pas de la même façon. La réponse d’un individu à une situation donnée mobilise des connaissances et des modes de raisonnement existant dans le premier niveau ; mais, là est la difficulté, nous ne savons pas :

Inversement les connaissances apparues ou mobilisées dans une situation donnée sont candidates à être stockées à moyen ou long terme. Mais là encore, nos modèles sont bien incomplets :

Admettant que ces questions subsistent, nous nous garderons d’adopter une position figée dans un sens ou dans l’autre.

Notes
7.

Belle analogie avec la position des partisans les plus radicaux de la cognition située. L’auteur cite en note Bourdieu et Lahire.