3.3 Le changement conceptuel

Vosniadou (1994), représentante importante du courant très diversifié du « conceptual change », insiste essentiellement sur la cohérence de l’élève apprenant. Cette cohérence prend la forme d’une résistance au changement qu’apporterait l’enseignement dans le cadre théorique initial de l’élève. Ce cadre théorique initial existe, c’est un point fondamental, qui s’oppose à la théorie des niveaux de complexité croissante décrite ci-dessous. Ainsi Vosniadou écrit-elle :

‘ « ces dernières années, il y a eu un renversement intéressant du point de vue commun selon lequel les gens commencent le processus d’acquisition des connaissances en formant des concepts élémentaires, qui se connectent alors sur la base de similarités pour créer des structures conceptuelles plus complexes. Un grand nombre de chercheurs ont apporté des arguments persuasifs pour dire que les concepts sont incrustés dans des structures théoriques plus générales depuis le début 9» (1994, p. 46).’

Ces structures théoriques préexistantes sont de deux ordres : un cadre théorique naïf de la physique, constitué de principes assez généraux sur le comportement des objets, et des théories spécifiques dans les domaines de la physique étudiés. Avant de détailler il faut bien préciser que pour Vosniadou ‘« le mot théorie est utilisé pour qualifier une structure relationnelle et explicative et non une théorie scientifique explicite et bien formée »’ lorsqu’il s’applique à l’élève (1994, note p. 47).

Vosniadou donne quelques exemples de principes constitutifs du « cadre théorique naïf » des élèves ; elle distingue des « présupposés ontologiques » : la solidité des objets (et la Terre en est un), leur stabilité, une organisation spatiale orientée verticalement, une gravité orientée verticalement, ‘« la force (ou la chaleur/le froid) est une propriété des objets »’ ; et des « présupposés épistémologiques » : ‘« les choses sont ce qu’elles semblent être », « une explication doit faire intervenir un agent causal » ...’

Ce cadre théorique préexistant chez l’apprenant contraint les apprentissages que celui-ci réalise. Il fonctionne comme un ensemble de propositions qui ne seront remises en cause par l’élève que très difficilement. En particulier ce cadre contraignant oriente la construction par l’apprenant de proto-théories spécifiques à chaque domaine de la physique, qui elle-même contraindront les apprentissages réalisés ultérieurement, dans le contexte scolaire par exemple. Vosniadou donne l’exemple suivant d’articulation entre cadre théorique naïf et théorie spécifique ‘: « l’affirmation « la chaleur peut se transférer d’un objet vers un autre qui est moins chaud par contact direct » est une croyance d’une théorie spécifique du transfert de chaleur. Cette croyance est contrainte par la présupposition sous-jacente que « la chaleur est une propriété transférable des objets physiques », qui fait partie d’un cadre théorique naïf de la physique »’ (1994, p. 48).

Dans une situation de résolution de problèmes, le modèle mental qui émerge dépend du cadre théorique naïf de l’apprenant. A la suite de Johnson-Laird, Vosniadou définit un modèle mental comme une représentation mentale dynamique et analogique, qui permet de fournir des explications causales ou des prédictions sur les phénomènes observables. Elle précise que ‘« la plupart des modèles mentaux sont créés sur-le-champ pour satisfaire à la demande de situations spécifiques de résolution de problème. Cependant il est possible que certains modèles mentaux, en totalité ou en partie, après avoir fait la preuve dans le passé de leur utilité, soient stockés comme des structures séparées et retrouvées dans la mémoire à long terme quand le besoin s’en fait sentir »’ (1994, p. 48). C’est par l’intermédiaire du modèle mental que les nouvelles informations sont incorporées à la base de connaissances de l’apprenant. Reflet des théories sous-jacentes, le modèle mental est donc un moyen privilégié de les étudier, ou plutôt de les reconstruire.

Quelles formes de changement conceptuel Vosniadou envisage-t-elle ? Par ordre de difficulté croissante, elle distingue :

Devant une information qui ne rentre pas dans son cadre préexistant, un apprenant réagira en créant des modèles mentaux hybrides (Vosniadou les qualifie de synthétiques), qui rendent la nouvelle connaissance acceptable pour le cadre théorique général. Ce qui peut alors sembler à un observateur extérieur une construction incohérente est au contraire un effort pour assurer la compatibilité d’une nouvelle information avec une théorie déjà solidement établie. Autrement dit la différence entre un expert et un novice n’est pas que l’expert aurait un cadre théorique et non le novice ; c’est qu’ils ont des cadres théoriques différents.

Une autre émergence du thème de recherche dit du « conceptual change » peut être illustrée par les travaux de Dykstra (1992) en mécanique ; il met en évidence une suite d’étapes par lesquelles passe l’apprenant à partir de ses conceptions initiales, succession résumée par le schéma suivant (figure 1) :

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Figure 2-1 : les différentes étapes du changement

Cette succession d’étapes est une description assez proche de celle que dégage Tiberghien (1997, p. 370) à propos des phénomènes de chauffage et d’isolation thermique. Cependant Tiberghien utilise deux outils théoriques généralisables :

Notes
9.

c’est nous qui soulignons