3.4 Système cognitif stable et chemins d’apprentissage

L’équipe rassemblée autour de Niedderer à l’IPN de Bremen a mené depuis les années 1980 des recherches sur la compréhension des concepts de la physique par les élèves dans différents domaines : la mécanique (Schecker, 1985), la physique atomique (Bethge, 1988), les circuits électriques (Niedderer & Goldberg, 1995). A partir de ces études empiriques, un cadre théorique a été développé sur le fonctionnement cognitif d’un apprenant en physique, décrit comme un système cognitif en interaction avec son environnement, muni d’éléments stables profonds et de constructions plus éphémères (Niederrer & Scheker, 1992). Classer un élément cognitif comme élément stable suppose que le chercheur soit capable d’identifier son intervention dans les constructions éphémères qui correspondent à un certain nombre de situations s’étalant sur une durée assez longue.

Ce cadre théorique permet d’appréhender le problème de l’apprentissage par la thématique du « learning pathway », décrite comme ‘« une séquence d’états métastables du système cognitif individuel »’ (Petri & Niederrer, 1998, p. 1075), comme une vue « stroboscopique » (idem, p. 1076) du chemin que suit l’apprenant confronté à une séquence d’enseignement donnée (dans le cas de cet article, un modèle quantique des atomes conduisant à la notion d’orbitales et de liaison chimique par recouvrement des orbitales).

Un point intéressant dans cette optique est la définition des « attracteurs cognitifs » comme une catégorie particulière de conceptions, qu’on retrouverait dans les « learning pathways » suivis dans des séquences d’enseignement différentes. Petri et Niedderer donnent comme exemple la conception des « orbites floues » (smeared orbits) : la conception que peut mettre en oeuvre un apprenant à partir de la vision planétaire classique de l’atome, quand on ajoute par l’enseignement la notion de probabilité de présence et le principe d’Heisenberg. Ils considèrent que c’est un attracteur cognitif parce qu’on peut y rattacher des conceptions observées dans des séquences d’enseignement distinctes étudiées par plusieurs auteurs.

La conclusion de ce travail sur le modèle quantique de l’atome est que coexistent à la fin de l’enseignement dans le système cognitif de l’apprenant des conceptions diverses, à qui les auteurs attribuent des forces et des statuts différents. Une conception est dite plus forte qu’une autre quand elle est employée par le sujet préférentiellement dans une situation nouvelle ; c’est le cas de la conception initiale de l’apprenant étudié, la vision planétaire classique de l’atome. Mais aux yeux de l’étudiant lui-même, les différentes conceptions ont des statuts scientifiques inégaux : le modèle du nuage électronique est considéré par l’étudiant comme plus scientifique et plus puissant, parce que capable d’expliquer la formation des liaisons chimiques. Un point important, de notre point de vue, est que cette opinion positive de l’apprenant sur les conceptions qu’il s’est formées à partir de l’enseignement reçu vient en partie du succès des opérations réalisées en utilisant le logiciel de modélisation STELLA (dont une étude sommaire sera faite au chapitre 4) pour construire les orbitales d’atomes complexes (atome de sodium par exemple). Dans un domaine où la vérification expérimentale est quasi impossible, et en tous cas n’a pas été accessible aux étudiants, l’opérationnalité calculatoire du modèle est un critère de sa légitimité.