2.2 La vision

Pour les enfants de 10-12 ans, il n’est pas du tout évident que nous voyions un objet quand il nous envoie de la lumière dans l’oeil. Guesne (1984, p. 190) a représenté par quatre diagrammes faisant intervenir la source lumineuse, l’objet vu et l’oeil les principales conceptions du mécanisme de la vision :

• source, oeil et objet baignent dans le flot de lumière, il n’y a pas de lien bien défini entre l’objet et l’oeil qui le voit ;

• la source envoie de la lumière sur l’objet, il n’y a pas de rapport entre l’oeil et l’objet ;

• la source envoie de la lumière sur l’objet, et l’oeil envoie un rayon visuel sur l’objet ;

• la source envoie de la lumière sur l’objet, qui le réfléchit vers l’oeil.

Le travail de Guesne montre que les deux premières possibilités résument ce que pense la grande majorité des enfants de cet âge ; le point de vue « historique » du rayon visuel émis par l’oeil (Ronchi 1956, p. 14) est cité rarement ; le point de vue du physicien (la quatrième représentation), est cité encore plus rarement, d’ailleurs les enfants de cet âge ne pensent pas que les objets reflètent la lumière. Guesne en conclue que le mécanisme de la vision doit être le premier objet d’enseignement de l’optique géométrique ; à défaut, les expériences de bases sur la propagation rectiligne de la lumière courent le risque de ne pas sembler valides aux enfants.

Ultérieurement ce rôle de l’oeil recevant la lumière est certainement acquis, au moins en principe. Mais jusqu’à une date récente, le mécanisme de la vision avait une place marginale dans les programmes et était introduit tardivement. Ronen et Eylon (1993) avancent deux raisons :

• l’étude des lentilles semble aux enseignants un prérequis indispensable ;

• la formation des images par l’oeil peut sembler secondaire, car l’objectif principal est la formation des images par les systèmes optiques artificiels.

Ce rôle secondaire dévolu aux mécanismes de la vision laisse subsister tardivement des erreurs importantes :

• la croyance qu’on peut voir le trajet de la lumière en se plaçant « sur le côté » ; cette croyance est renforcée par les représentations qu’on trouve dans les manuels scolaires, où il faut bien indiquer par une zone de couleur les régions de l’espace dans lesquelles la lumière se propage ; elle est renforcée également par les expériences où l’enseignant souffle de la fumée pour matérialiser le trajet de la lumière, et qui envoient bel et bien de la lumière (diffusée par la fumée) dans l’oeil de l’observateur placé sur le côté ;

• la plupart des expériences d’optique ne s’interprètent correctement que si on fait intervenir l’idée que l’oeil est un système optique comme un autre, capable d’accommoder pour former une image sur la rétine quand il reçoit des rayons réels (Ronen & Eylon, 1993). Les erreurs sur la notion d’image, qui sont examinées plus bas, pourraient ainsi s’expliquer par la méconnaissance du rôle de l’oeil.