2.3 La notion d’image à travers une lentille

Les travaux de base ont été menés par Goldberg et McDermott et publiés en 1987. Ils mettent en présence des étudiants du début du « college » (18 ans environ), un chercheur et un dispositif expérimental monté sur un banc d’optique horizontal et constitué :

L’ampoule est à 25 cm de la lentille, son image est à 50 cm de la lentille environ.

Le chercheur et l’étudiant sont placés, au cours d’entretiens individuels, sur le côté par rapport au banc d’optique, à 50 cm environ, et voient la face de l’écran tournée vers al lentille. Quatre types de questions sont posés à l’étudiant par le chercheur :

A la suite des entretiens, Goldberg et McDermott (1987, p. 118) résument leurs observations en attribuant aux étudiants la conception suivante : ‘« un objet lumineux produit des rayons parallèles qui voyagent à travers l’espace ; lorsque l’image potentielle traverse un système optique, il la modifie en orientation ou en taille, ou lui fournit une surface sur laquelle elle pourra être vue. Le rôle de la lentille est d’inverser l’image ou de modifier sa taille ; le rôle de l’écran est de réfléchir ou de capturer les rayons de sorte que l’image puisse être vue. Une image ne peut être vue dans l’espace indépendamment d’une surface ».’ Dans un autre travail (Goldberg & McDermott, 1986, p. 474), les auteurs mentionnent qu’un proportion significative d’étudiants avant instruction désignent la surface d’un miroir comme lieu de localisation de l’image d’un objet à travers le miroir. Ce réflexe dépasse donc le cas des lentilles.

Environ les deux tiers des étudiants répondent à la troisième question en affirmant que l’écran va faire apparaître une image où qu’il soit placé sur le banc d’optique. Ce qui revient à lui attribuer un rôle fondamental dans la mise en évidence de cette image, et nier la nécessité d’une mise au point. Les auteurs avancent comme explication l’habitude qu’auraient les étudiants de voir les images projetées sur un écran par un projecteur de diapositives, où la mise au point est automatique ou peu visible pour le spectateur.

Bien entendu les étudiants sont stupéfaits quand le chercheur, après la quatrième question, leur fait constater qu’on peut voir l’image en vision directe, en regardant à travers la lentille. De fait, dans la vie quotidienne, on voit bien plus souvent ce qu’on appelle « image » sur un écran, (de préférence celui de la télévision, même si cette image n’a physiquement pas grand chose à voir avec ce dont on s’occupe ici) que flottant dans l’espace. Quand après ce constat dérangeant, le chercheur leur demande où se situe l’image qu’ils voient ainsi directement, au moins les trois-quarts donnent une autre localisation que l’endroit où était l’écran.

Il est remarquable (et cela a été repéré dans d’autres domaines de la physique) que l’utilisation d’un formalisme par les étudiants qui en ont un à leur disposition n’améliore pas la qualité des réponses données : le formalisme (ici le tracé de rayons) sert plus à justifier les idées a priori qu’à conduire au bon raisonnement. C’est particulièrement visible pour la question numéro 2, sur l’effet d’un cache : quand les étudiants tracent des rayons, ils choisissent des rayons particuliers, celui qui passe par la lentille et ceux qui passent par les deux foyers. Quand un cache couvre une moitié de la lentille, deux de ces trois rayons sont éliminés : il est tentant d’en déduire que l’image disparaît en totalité ou à moitié. C’est d’autant plus tentant que cela correspond à une expérience de la vie quotidienne : quand on cache la moitié d’une lunette correctrice, on voit bien que certains objets disparaissent du champ de vision ; il y a là une réelle difficulté, qui ne peut être levée qu’en faisant intervenir la formation des images par l’oeil (Ronen et Eylon, 1993 p. 56).

Ronen, Bat-Sheva, Rivlin et Ganiel (1993) avancent des raisons didactiques à cette utilisation privilégiée de rayons particuliers : la difficulté à représenter sur des schémas à deux dimensions des réalités tridimensionnelles conduit enseignants et auteurs de manuels à limiter le nombre de rayons tracés, sous peine que les figures deviennent trop compliquées, et donc à choisir systématiquement des rayons spéciaux.

Autre erreur souvent commise : les images semblent se comporter comme des objets pour un bon nombre d’étudiants, c’est-à-dire qu’elles sont considérées comme sources isotropes de lumière (on peut donc les voir en se plaçant sur le côté) (Ronen & Eylon, 1993 p. 55).

Galili, Bendall et Goldberg (1993, p. 273) ont synthétisé les résultats du travail de Goldberg et McDermott, portant sur des étudiants de première année de « college », et de leurs propres données, portant sur de futurs enseignants du niveau primaire aux États-Unis (92 sujets), en disant qu’avant enseignement les sujets manifestent une conceptualisation holistique de la formation d’une image. Cette conceptualisation organise quelques concepts essentiels (un objet global, une image globale, un système optique, une surface d’observation) en une série d’idées principales :

Remarquons que dans nos propres travaux antérieurs (Buty & al., 1996 p. 96), conduits auprès d’élèves de quatrième, s’est manifestée clairement une conception holistique d’un objet lumineux, qui conduit par exemple les élèves à affirmer qu’on voit cet objet dans un système optique pourvu qu’on voie la lumière émise par n’importe quelle partie de cet objet.

Un point important de l’article cité de Galili, Bendall et Goldberg est l’analyse sur le rôle des tracés de rayons dans les erreurs commises par les élèves. Les rayons tracés sur les différents schémas sont corrects : la lumière suit bien les trajets indiqués. Pour autant les interprétations que les étudiants donnent des schémas sont erronées, parce que ces schémas ne retranscrivent pas l’idée essentielle contenue dans le concept d’image, à savoir que tous les rayons issus d’un point de l’objet arrivent en un point unique de l’espace, le point correspondant de l’image.

Un certain nombre de résultats de recherches menées au LDPES de l’Université Paris VII vont dans le même sens que les résultats cités précédemment. Fawaz et Viennot (1986), interrogeant au moyen de questionnaires écrits de 25 à 110 élèves libanais (suivant les questions), parfois complétés par des étudiants de première année de DEUG à Paris VII, mettent en évidence :

 Kaminski (1989, 1991) a repéré la persistance de telles idées chez des enseignants de collège en formation continue. Elle a montré également les difficultés liées à la visibilité de la lumière.