2.1 Hypothèses d’ordre épistémologique et leurs conséquences

Dans le cas de l’optique géométrique, la difficulté générale déjà mentionnée de mettre en relation le plan du modèle et le plan de l’expérience sensible prend une forme particulière : celle de l’articulation entre les notions de rayons lumineux et de faisceau de lumière.

Un faisceau de lumière, bien qu’objet du modèle, décrit une réalité perceptible à l’élève : celle d’une zone de l’espace, où se trouve la lumière, qui est parfois rendue lumineuse, par diffusion ; en ce cas on peut en identifier les contours, de formes variées, et la luminosité n’est pas forcément uniforme. La désignation d’un phénomène par un mot comporte inévitablement une part de modélisation de celui-là : dans le cas du terme ’faisceau’, la caractéristique principalement connotée est celle de forme et de limites clairement identifiables ; entre autres la modélisation a fait disparaître les éventuelles variations de luminosité. Il serait souhaitable de désigner les zones lumineuses par un terme particulier, réservant l’usage de « faisceau » à la désignation d’un pur objet du modèle, un ensemble de rayons. Le terme « flux de lumière » pourrait convenir, il est d’ailleurs employé en ce sens dans la littérature didactique, nous l’avons déjà signalé (Galili, 1996). Force nous est de constater cependant que l’usage n’en est pas courant, dans l’enseignement en France en tous cas ; ce qui explique que nous ne l’ayons pas suivi systématiquement.

Le problème que posent les lentilles est qu’elles modifient la forme des faisceaux qui les traversent et qu’il faut rendre compte de cette modification de forme. Il n’y a pas de lois précises portant sur les faisceaux que l’élève puisse utiliser pour résoudre ce problème. Les seules connaissances applicables aux faisceaux sont floues : ’une lentille convergente (divergente) rend le faisceau plus (moins) convergent’ ; cette indication n’est pas assez précise. Elle n’est pas non plus très claire : il faut être physicien pour trouver d’emblée naturelle une formulation du type : ‘« une lentille convergente rend un faisceau divergent moins divergent, mais pas toujours convergent »’ ; dans cette formulation en effet le terme « convergent » s’applique à la fois à l’agent (la lentille) et à l’entité (le faisceau) sur laquelle elle agit. Il n’est pas étonnant que les élèves aient du mal à suivre, comme on peut le constater dans notre séquence dans l’étape s12-2-1.

En fait les lois quantitatives de l’optique géométrique portent sur les rayons. Un rayon lumineux est le modèle d’un flux de lumière de largeur faible ; celui peut être caractérisé par quatre paramètres : sa direction, son intensité, sa longueur d’onde, sa largeur. Un rayon ne prend en compte que deux paramètres, la direction essentiellement et la longueur d’onde, qu’assez souvent on ne précise pas ou qu’on n’envisage que sous l’aspect des valeurs variables de l’indice de réfraction. Un rayon lumineux, par ailleurs, décrit le trajet de l’énergie lumineuse, mais la quantité d’énergie transportée le long d’un rayon particulier n’est pas précisée. Les lois de l’optique géométrique sont des énoncés sur les rayons lumineux et le trajet qu’ils suivent : on possède une loi quantitative qui régit le changement de milieu d’un rayon lumineux, donc applicable au contexte des lentilles, la loi de la réfraction.

Pour expliquer comment une lentille transforme un faisceau, il faut donc, outre connaître les lois portant sur les rayons, savoir reconstituer un faisceau à partir d’un rayon. La difficulté vient de ce que les différents rayons d’un faisceau, s’ils obéissent à la même loi de comportement à travers une lentille, n’ont pas le même comportement, c’est-à-dire subissent tous des déviations différentes.

Dans les fichiers que nous avons construits sous Cabri-géomètre (nous les appellerons désormais des ’cabri-fichiers’), les éléments de base des constructions qui apparaissent sur l’écran sont soit des droites, soit des demi-droites soit des segments ; ils représentent des rayons et peuvent donc être déplacés par les étudiants.

L’image d’un point lumineux à travers un système optique est le point où converge (ou bien d’où semble diverger) la partie du faisceau divergent issu du point source qui a rencontré le système optique (Galili, 1996) ; l’image est donc la zone où ce système localise l’information lumineuse issue de la source, qui sans lui se diluerait dans l’espace (Viennot, 1996). Si on se place dans le modèle des rayons lumineux, l’image est suivant la phrase consacrée, le point par où passent ou semblent passer tous les rayons émergents du système issus de la source. L’image d’un objet lumineux est l’ensemble des images des points dans lesquels on peut décomposer l’objet. On sait qu’il ne s’agit que d’un modèle ; comme l’écrit Viennot (1996, p. 31) ’on serait bien en peine de compter les rayons, comme d’ailleurs les points de l’objet. Mais le parti pris est d’analyser le continu à l’aide du discontinu’. Comme nous l’avons dit, il existe dans Cabri-géomètre deux fonctionnalités qui permettent d’engendrer un faisceau à partir d’un rayon dépendant d’un point mobile : la procédure ’trace’, qui laisse à l’écran la trace des positions successives d’un rayon au cours de son déplacement ; la procédure ’lieu’, qui permet d’afficher et de déplacer aisément un certain nombre de positions du rayon quand le point dont il dépend varie. Par la nature même de l’information numérisée, la trace comme le lieu du rayon mobile sont des objets discontinus. Cependant on peut régler le pas des deux procédures pour obtenir visuellement une impression de continuité.