1.5 discussion et conclusions

Ces tableaux et graphiques nous permettent de tirer un certain nombre de conclusions. Il est utile tout d’abord de se souvenir que ces résultats ont été obtenus à partir de l’observation d’un seul élève dans une paire donnée, dans une classe donnée, avec un enseignant donné. Cependant nous pensons que les conclusions qui suivent n’ont pas une portée anecdotique. Elles recoupent d’ailleurs certains résultats d’autres recherches, notamment celles des chercheurs allemands avec qui nous avons mis au point cette méthodologie CBAV, et qui observent de plus nombreux étudiants (références).

La première conclusion est que la méthodologie utilisée, aussi bien pour catégoriser l’activité des élèves et leurs productions verbales que pour traiter les données ainsi obtenues, produit des faits à partir desquels on peut mener des analyses. C’est un résultat important dans la mesure où elle permettrait d’étudier les activités des élèves dans des séquences longues de plusieurs heures. Il devient alors possible d’étudier l’évolution des élèves sur une échelle de plusieurs mois et non seulement leurs productions à un moment donné. Il est certainement intéressant de la définir plus précisément (voir Hucke, 1999) et de l’appliquer à d’autres domaines et/ou d’autres questions de recherche. Une autre qualité de cette méthode est d’ailleurs qu’elle donne des résultats concordants quand elle est appliquée sur le même corpus par des codeurs différents : des résultats détaillés sur cet aspect sont donnés dans Niederrer & al. (1998) et dans Hucke (1999).

En ce qui concerne la séquence d’optique géométrique elle-même, qui a une durée totale de 13 h sur une période de deux mois, on peut dire que :

  1. En comparant les deux derniers graphiques (figures 5 et 6), il devient très clair que lorsqu’ils utilisent un modèle matérialisé informatisé, les élèves manifestent dans leur discours un plus grand nombre de types de connaissances que lorsqu’ils manipulent le matériel expérimental. C’était un des buts de l’introduction du modèle matérialisé, et ce but est globalement atteint.

  2. De plus, si on prend en compte le fait que les élèves ont dû apprendre à utiliser le logiciel Cabri-géomètre, on constate que pendant les premières séances les problèmes qu’ils rencontrent avec le logiciel sont assez fréquents. Cette situation peut expliquer la forme de la variation de leur productions verbales sur les objets géométriques sur l’écran de l’ordinateur (C4/MM, figure 6), puisque toutes les phrases qui réfèrent aux problèmes de gestion du logiciel ont été codées dans cette catégorie (CMM, qui conduit à C4). C’est un effet négatif ou parasite, si on se rappelle que notre but est que les élèves apprennent de la physique. Cela peut être vu comme un inconvénient de l’utilisation d’un modèle informatisé. On peut penser que sans ces problèmes de gestion du logiciel, la diversité des productions verbales eût été plus grande. L’hypothèse que nous avions faite suivant laquelle les élèves apprendraient vite la manipulation du logiciel n’est donc pas vérifiée de façon évidente. Il faut un certain temps d’apprentissage, et cet apprentissage se fait au détriment d’autres activités, plus directement liées à la physique. Cet inconvénient est évidemment renforcé dans le contexte d’une classe d’examen, où le temps est compté chichement, mais on peut s’attendre à le retrouver partout.

  3. Cet élargissement de la gamme des catégories verbales utilisées par les élèves concerne principalement l’usage des entités et de la théorie de la physique quand les élèves se servent de l’ordinateur (C5/MM, figure 6). Par contraste nous pouvons constater que la verbalisation de la théorie physique est très faible quand les élèves manipulent le dispositif expérimental (C2/MA, figure 5). Ceci a d’ailleurs été observé également par d’autres chercheurs (Beney, Bécu-Robinault, références), dans d’autres contextes, en particulier sans outil informatique.

  4. Au contraire, les élèves font assez rarement référence aux objets du monde réel quand ils manipulent l’ordinateur (C6/MM, figure 6). Ce n’est pas l’effet désiré lors de la conception de la séquence. Nous pouvons cependant observer que ce n’est pas vrai pour la situation 2, où il était explicitement demandé aux élèves de dire s’ils voyaient des similarités ou des différences entre l’aspect de l’écran de l’ordinateur et les phénomènes qu’ils avaient observés pendant l’expérience qu’ils avaient faite auparavant. On peut voir ici l’importance des instructions données explicitement par l’enseignant, importance qui a déjà été notée par Becu-Robinault (97, p. 189-190) dans le domaine de l’énergie.

  5. Certaines situations sont plus riches que d’autres, quand les élèves utilisent l’ordinateur et même pendant la réalisation des expériences : 2, 9, 12, 15 (figures 5 et 6). Dans les situations 9, 12, 15, comme cela a été indiqué plus haut (chapitre 7, tableau 1), les élèves ont d’abord utilisé le modèle informatisé puis ont réalisé les expériences. Mais le lien entre l’ordre des activités et la richesse des productions verbales n’est pas univoque, car d’autres facteurs interviennent : par exemple, dans la treizième situation (sur les lentilles divergentes), qui est assez pauvre, une expérience a lieu après usage du modèle matérialisé. Cependant, cette expérience est très courte et simple : elle dure moins de trois minutes, elle consiste uniquement à regarder l’image virtuelle à travers la lentille divergente. Aussi faut-il la considérer comme peu significative de ce point de vue.

  6. Si nous revenons à nos questions de recherche visées dans cette étude (comment l’usage d’une représentation graphique dynamique dans cette séquence d’enseignement a-t-elle aidé les élèves à mettre en relation le monde du champ expérimental et celui de la théorie/modèle ?), nous pouvons dire que ces résultats plaident raisonnablement pour les conclusions suivantes :
    1. cet usage de l’ordinateur a favorisé l’usage de la théorie de la physique par les élèves ;

    2. il a aussi favorisé le lien entre le monde des objets/événements et le monde de la théorie/modèle pendant les activités expérimentales, quand l’ordinateur était utilisé avant l’expérience, de façon prédictive ;

    3. le lien entre la représentation dynamique sur l’écran de l’ordinateur et le monde réel au cours des phases de travail sur le modèle matérialisé n’a pas été très bien réalisé, sauf quand les consignes le demandaient explicitement.