1.8 Le modèle matérialisé comme source d’erreurs

La liberté n’a pas que des effets positifs. Il arrive à un certain nombre de fois au cours de la séquence qu’une manipulation incorrecte, insuffisante ou mal interprétée du modèle matérialisé suscite visiblement chez les élèves des idées incorrectes, qui peut-être ultérieurement créeront des problèmes.

Dans l’étape s3-1-2, le choix d’un cas particulier pour construire le fichier sur lequel travaillent les élèves conduit Adeline et Emmanuel à construire une connaissance fausse. Adeline énonce : plus l’angle d’incidence est grand, plus la déviation entre incident et émergent est grande (étape s3-1-2 int. 3/32). Or ce n’est pas l’angle d’incidence qui compte, mais l’angle que fait le rayon lumineux avec l’axe ; ils ne sont identiques que parce que la lentille utilisée est plan-convexe, et que la face d’entrée de la lumière est la face plane. Ici, c’est la contextualisation qui est source d’erreur.

De la même façon, dans l’étape s9-2-2, le fait de s’être placé à la suite de manipulations de hasard dans un cas particulier (segment-objet dans le plan focal objet) amène Emmanuel à considérer que le modèle matérialisé valide son hypothèse ; c’est la poursuite de l’acte didactique qui lui fait comprendre qu’il avait mal interprété le dessin. En fait cette utilisation du modèle par Emmanuel est très compliquée, très enchevêtrée. On peut l’interpréter ainsi :

Dans l’étape s12-1-2, la manipulation immédiate du fichier conduit Adeline à énoncer à quelques instants d’intervalles deux interprétations des événements se produisant sur l’écran de l’ordinateur qui se révéleront incompatibles dans le débat qui va suivre (voir paragraphe 6.1 page 163). D’une part, à la simple vue de l’état initial du fichier (elle n’a pas encore réussi à déplacer un point), elle dit que l’image va être virtuelle, derrière la lentille (int. 12/24) ; d’autre part, après avoir réussi à faire varier la position de l’objet sur l’axe, et donc après avoir obtenu tantôt une image réelle localisable par l’intersection des rayons émergents, tantôt une image virtuelle moins localisable, elle dit « ben voilà là on a une image et la hop a plus » (int. 12/28). Cette manipulation induit peut-être la position d’Emmanuel qu’il énonce dans le dialogue public qu’il a avec l’enseignant à l’étape s12-1-5 (int. 12/64 et 91) et dans son débat avec Adeline (étapes s12-1-6 et s12-1-7).

Dans l’étape s13-3-1, c’est une manipulation non maîtrisée par l’enseignant qui produit le même résultat, comme il a été signalé au chapitre précédent. Dans les constructions dans l’environnement papier-crayon qui ont précédé, les élèves ont étudié le cas d’un objet réel, qui produit à travers une lentille divergente une image virtuelle, donc située comme l’objet avant la lentille. L’enseignant souhaite se limiter au cas de l’objet réel pour le moment, il pensait traiter le cas de l’objet virtuel ultérieurement, mais le temps manquant un peu cet aspect sera seulement succinctement abordé, dans l’étape s13-3-9 ; mais à ce moment-là Emmanuel sera en train de terminer ses calculs et n’écoutera absolument pas. Lorsque les élèves commencent à travailler avec le cabri-fichier, ils se placent spontanément dans le cas d’un objet virtuel, par suite de la liberté de manipulation que leur donne le micromonde, mais sans dépasser le foyer principal objet. L’image est alors réelle, donc encore située du côté de l’objet. Ils énoncent alors que l’image est toujours du côté de l’objet, connaissance qui est toute prête à fonctionner pour tous les cas possibles des lentilles divergentes. Or c’est faux dans le cas où l’objet virtuel est situé au-delà du foyer principal objet : l’image est alors virtuelle, située avant la lentille alors que l’objet est après.

On a ici un cas où la liberté du micromonde, non prise en compte par l’enseignement, peut produire des constructions d’erreurs dans le système cognitif des apprenants. Cela impliquerait quand on utilise un tel dispositif offrant une liberté aux élèves, d’explorer systématiquement tous les degrés de liberté et d’en tirer rapidement les conclusions avec les élèves.