3.3 La situation 2 : foyer principal image (1 et 15 octobre 1996, 143 minutes)

La conception qu’Emmanuel a de l’image apparaît essentiellement dans les épisodes 2 et 3 de la situation 2 (foyer principal image). Elle est cohérente avec ce qu’a montré le test initial : l’image est plus grande ou plus petite suivant que l’écran sur lequel on la matérialise intercepte le faisceau émergent selon une tache plus ou moins grande (étape s2-2-3, int. 2/180) :

‘« ouais ça dépend de là où tu places ta pellicule parce que si tu places ta pellicule ici elle [l’image] serait plus grande »’ ; et en disant cela il met sa règle sur son dessin, perpendiculairement à l’axe, loin du point de convergence, donc à un endroit où le faisceau émergent a retrouvé une certaine largeur.

La taille de l’image dépend donc de cette distance à la lentille mais aussi de la convergence de la lentille, ce qui est cohérent parce qu’à distance égale une lentille plus convergente donnera un faisceau plus large, si on se place après la zone de convergence : ‘« mais oui d’accord mais tout dépend de la lentille aussi » ... « si t’as une lentille qu’est plus convergente (?) »’ (étape s2-2-3, int. 2/184, 2/186)

En même temps Emmanuel affirme (étape s2-2-3, int. 2/196) que l’image sera un point et acquiesce quand Adeline dit ‘« en fait c’est un point qui a la forme de l’étoile »’ (étape s2-2-3, int. 2/206). Cela pourrait signifier que le mot « point » a pour eux une signification différente du point mathématique, où un « point » serait quelque chose d’assez petit, mais de taille non forcément nulle.

Cette conception de l’image interfère avec sa conception d’un objet lumineux : jusqu’à l’étape s2.2.3 il pense qu’Orion est une étoile unique ; à partir de l’étape s2.2.4 il prend en compte le fait qu’Orion est un ensemble d’étoiles disjointes qu’il faut voir chacune séparément. Cela le conduit à changer le modèle qu’il se fait de l’expérience qu’il a devant lui : la lumière de la lanterne représente la lumière émise par l’objet global Orion, et en conséquence il faut placer la pellicule avant ou après le point de convergence pour que les différentes étoiles soient séparées. Ce glissement de modélisation est rendu possible par deux idées : l’image peut être observée à n’importe quelle distance de la lentille ; la lumière émise par un objet porte une information globale sur cet objet, le décomposer en points, comme les physiciens le font automatiquement, n’est pas une opération pertinente pour Emmanuel.

Cela donne lieu à un malentendu dans le dialogue public d’Emmanuel et de l’enseignant qui se produit à l’étape s2-2-5 : apparemment Emmanuel donne la réponse attendue par l’enseignant, mais les mêmes mots n’ont pas le même sens pour l’un et pour l’autre (étape s2-2-5, int. 329-330) :

Emmanuel : ‘« ben moi je disais que ça allait donner qu’une seule étoile / du moins elles vont être confondues »’ ; l’enseignant : ‘« voilà on va pas les distinguer »’.

Quand Emmanuel dit que les images des étoiles vont être confondues, l’enseignant comprend que chaque image étant élargie, les différentes images vont se recouvrir ; pour Emmanuel, cela signifie que chaque image est ponctuelle, mais que toutes ces images ponctuelles sont rassemblées en un même point de la pellicule et donc se confondent. Le principe qu’on peut avoir une bonne image n’importe où est clairement à l’oeuvre dans ce point de vue.

Or cette idée, qui est fausse du point de vue de la physique, fournit néanmoins à Emmanuel un cadre pour résoudre la question qui lui est posée ensuite, à savoir « que faut-il faire, avec cette lentille, pour que les onze étoiles de la constellation soient vues distinctement ».

En effet, ce qu’Emmanuel (comme sa camarade) retient du malentendu signalé plus haut, qui éclate dans les discussions de l’enseignant avec ce groupe seul (étape s2-3-3), c’est qu’il faut éliminer la lumière parasite. Le problème de la compréhension de ce qu’est l’image de la constellation est alors ramené à un problème très pratique : comment éliminer la lumière parasite ? Emmanuel commence par proposer une solution logique, qui est de mettre un petit trou au voisinage du point de convergence, et on pourra récupérer l’image nette de la constellation après le trou, puisqu’on aura éliminé la lumière parasite. l’enseignant, quand on lui soumet cette solution, la rejette par contrat implicite, sur des arguments de faisabilité technique (étape 2.3.3, int. 487). Alors Emmanuel propose après une assez longue réflexion de mettre le cache avant la lentille. Il n’explicite pas son raisonnement, qu’il vérifie empiriquement aussitôt, et qui marche. C’est ensuite qu’il fait le rapprochement avec ce qu’il sait des diaphragmes des appareils photographiques, ce qui le conforte dans sa solution. Il réutilise l’idée que l’image existe partout, et le même modèle de la référence expérimentale, puisqu’il dit qu’on peut mettre l’écran avant ou après la zone de convergence, maintenant qu’on a éliminé « à la source » la lumière parasite. On se reportera, en annexe 7 (volume II p. 94), à la réponse manuscrite qu’Adeline a donnée pour la paire étudiée, et qui est très explicite.

Quand ils utilisent l’ordinateur, Emmanuel exprime encore une position cohérente avec une vue holistique de la lumière émise par l’objet, pour donner un sens à la trace colorée qu’ils viennent de faire apparaître sur l’écran (étape 2.4.8, int 2/1137) : ‘« ben ouais la lumière qui caract... ouais le rayon le faisceau lumineux émis par les35 étoiles on pourrait dire ça »’

On peut faire plusieurs remarques susceptibles d’admettre une généralisation au-delà du cas d’Emmanuel, à propos du fonctionnement de cette conception initiale dans le cadre d’une classe de physique :

Nous nous trouvons donc face à un élève qui manifeste dans deux environnements différents une conception très proche d’une conception bien répertoriée par la didactique de l’optique géométrique. Il est donc particulièrement intéressant et généralisable d’étudier si et comment cette conception évolue au cours de l’enseignement.

Pour suivre cette évolution, nous allons énoncer dans le tableau 9-1 ci-dessous les différentes idées partiellement articulées dont l’ensemble, à notre avis, constitue la conception en question. En regard nous présenterons le point de vue de la physique sur les divers aspects mis en valeur.

Tableau 9-1 : connaissances constituant la conception initiale d’Emmanuel. Certaines des connaissances relevées ci-dessus (notées en caractères normaux) sont énoncées explicitement (par des mots ou par des représentations graphiques) par Emmanuel, d’autres (qui sont notées en italique) sont des verbalisations (exprimées par nous) de connaissances en actes.
Conception d’Emmanuel Point de vue de la physique
Un objet est un tout Un objet est un ensemble de points
La lumière émise par un objet est un tout La lumière émise par un objet est modélisable par l’ensemble des faisceaux issus de chacun des points de l’objet
L’image est émise par l’objet L’image est le point de rassemblement de la lumière émise par l’objet
On peut faire apparaître l’image n’importe où derrière la lentille L’image est localisée en un endroit précis
La taille de l’image dépend de la largeur du faisceau émergent à l’endroit où on place l’écran La taille de l’image dépend de la taille de l’objet et de sa position par rapport à la lentille
Pour un objet à distance finie, le faisceau émergent est délimité par les deux rayons qui partent des extrémités de l’objet et qui passent par le centre de la lentille Dans tous les cas, le faisceau émergent est l’ensemble des rayons émergents quand leur source ponctuelle décrit l’objet
La taille de l’image dépend de la lentille La position de l’image, donc sa taille, dépendent de la distance focale de la lentille
L’image est inversée au niveau de la lentille Que l’image soit droite ou renversée dépend de la nature de la lentille et de la position de l’objet par rapport à elle

On doit faire plusieurs remarques sur cette énumération d’idées, sous peine de lui demander plus qu’elle ne peut tenir.

On peut se poser la question de savoir d’où vient cette conception, bien que nous ayons déjà signalé que rien dans nos données ne nous en fournissait une preuve. Dans la continuité de ce que nous avons dit au chapitre 3, cette idée qu’on peut placer un écran n’importe où derrière une lentille en obtenant alors une image plus ou moins grande, nous semble imputable à une interprétation erronée (du point de vue de la physique), de plusieurs observations réalisables dans la vie quotidienne. Dans l’environnement technique courant des élèves, il existe plusieurs appareils qui fournissent des images sur des écrans placés à toute une gamme de distances : le rétroprojecteur, le projecteur de diapositives, l’écran de cinéma ... Plus l’écran est loin, plus l’image est grande. En quelque sorte, Emmanuel synthétise toutes ces réalisations en une seule, la lentille jouant le rôle d’appareil d’optique générique, la différence des situations se transformant en une simultanéité de cas particuliers.

Notes
35.

C’est nous qui soulignons