4.3 Situation 6 : image d’un point (22 octobre et 5 novembre 1996, 87 minutes)

La situation 6 a du point de vue de la construction de la séquence totale un rôle crucial : elle utilise les règles vues dans les cinq situations précédentes sur la traversée de la lentille convergente par un rayon pour construire la notion d’image optique d’un point source comme point unique par où passent tous les rayons émergents issus du point source. Rappelons ces règles :

Cette situation 6 se situe entièrement au niveau du modèle, puisqu’il s’agit d’assurer la transition entre un modèle des lentilles basé sur les lois de la réfraction et un autre modèle, basé sur les règles qu’on vient de rappeler. Cette transition/rupture est particulièrement visible dans l’épisode 6.3 : l’observateur est en train de montrer à toute la classe comment faire les constructions nécessaires sous Cabri-géomètre ; il trace une demi-droite traversant la lentille sans être déviée ; un élève de la classe fait à haute voix la remarque que « la lentille ne marche pas », indiquant par là qu’il continue à raisonner comme il en avait l’habitude dans les fichiers précédents. L’activité est uniquement menée sur le modèle matérialisé sur l’écran de l’ordinateur.

Dès le début des rappels de l’enseignant, Emmanuel a une exclamation révélatrice ‘: « ah la formation des images enfin on va voir l’agrandissement »’ (étape s6-1-1 int. 6/4). Comme on l’a déjà vu, la taille de l’image est une caractéristique très importante pour lui. Il suit très activement les différentes applications graphiques des règles de traversée, pendant les épisodes s6-4 et s6-5. Il fait allusion le premier au fait que tous les traits figurant sur l’écran ne représentent pas des rayons qui aient un sens physique (étape s6-5-5 int.6/313-319).

Quand les élèves doivent réaliser la tâche d’éliminer ce qui n’a pas de sens physique, seuls devant l’ordinateur, Emmanuel manifeste qu’il juge de la validité de sa construction parce que tous les rayons émergents passent par le même point(étape 6-6-9 int. 6/844). Cependant il ne prononce pas le mot « image » à cette occasion, malgré les tentatives de l’observateur pour lui faire dire (int. 6/847-853). Il ne semble pas donner un sens physique lié à l’image à ce point visiblement particulier que l’application des règles du modèle a fait surgir. Dans l’étape suivante il établit un lien entre les positions de l’objet et de l’image, mais il ne les verbalise pas (et sans doute ne les pense pas) ainsi : ce ne sont pas l’objet et l’image, mais le point dont on part et le point où ça converge ; il ne prononce pas les termes image et objet, il parle de « convergence de la lentille », un peu comme si c’était une grandeur physique (étape s6-6-10 int. 6/867). Il est symptomatique que dans sa quête de sens donné à cette figure (et sous l’injonction de l’observateur) il pense à l’agrandissement (étape s6-6-12), alors même qu’il n’y a pas d’élément visible à l’écran à qui on puisse attribuer une taille.

Ses différentes interventions montrent qu’il établit une relation causale entre la taille de l’objet et la convergence ou la divergence [du faisceau émergent probablement] (étape s6-6-11 int. 6/893), ce qui nous permet de conclure à la réapparition dans cette étape de sa conception initiale ; d’autre part il cherche à justifier ses dires par des souvenirs scolaires (int. 6/901-903-907).

La « fausse manoeuvre » de l’étape s6-6-13, qui consiste à regarder les autres fichiers présents sur leur disque dur et à ouvrir image2.fig, qui contient en quelque sorte la solution à la question qu’on leur posait, permet de constater que lorsque Emmanuel parle à l’étape s6-6-11 de l’agrandissement, c’est qu’il reconstitue par la pensée un élément de figure absent en réalité, le segment qui va du point source à l’axe de la lentille : la représentation conventionnelle s’impose à lui et c’est sur elle qu’il fonde son interprétation de ce qu’il voit sur l’écran. En effet il reconnaît dans image2 le segment source et le segment image sur lesquels il avait raisonné (int. 6/921-923). Cette validation assez imprévue de son raisonnement le conduit à prévoir (étape s6-6-15 int. 6/968) que tracer les faisceaux incident et émergent va conduire à l’apparition des segments source et image. Et c’est effectivement la stratégie qu’il applique, puisqu’il essaye à plusieurs reprises d’animer le point source, et non le point d’intersection du rayon incident quelconque et de la lentille (étape s6-6-15 int. 6/978-1012). Autrement dit il réinterprête la question qui lui est posée en fonction du résultat qu’il veut obtenir. Cette prégnance de la validation fournie par le fichier image2 oriente aussi la réponse qu’il donne dans l’étape s6-7-1 à la question de l’observateur (int. 6/1027 et 1033) ; d’ailleurs l’observateur qui ne sait pas qu’il a ouvert le fichier image2 ne comprend pas où il veut en venir (étape s6-7-1 int. 6/1034 et 1039). Cela signifie entre parenthèses que la situation mise en place, qui suppose une certaine progression entre l’utilisation du fichier image1 et celle du fichier image2, est mise en échec par l’ouverture prématurée par Emmanuel du fichier image2 : l’organisation du milieu est mal maîtrisée.

Au moment de la correction par contre, il parle d’image (étape s6-7-2 int. 6/1055) et dit que le point par lequel passent tous les rayons est l’image B’ du point source B. Il s’accroche un moment à l’idée que cette image est localisée sur un segment particulier ou un plan particulier. Il revient sur l’agrandissement calculé en fonction de la distance entre l’objet et la lentille (étape s6-7-3 int. 6/1061-1065) et reformule que c’est un souvenir de son enseignement de seconde. Il acquiesce à ce que dit l’enseignant au moment de l’institutionnalisation (étape s6-7-5).

Il semble donc que pour lui il est admis que les rayons émergents passent par un seul point, mais qu’il déconnecte le plus souvent cette convergence du sens physique du mot image (quelque chose qu’on peut voir, qui ressemble à l’objet et qui a une taille). Quand le discours se situe dans le modèle, il peut associer le mot image à la convergence des rayons émergents, mais non quand on fait référence à la réalité sensible. On a ici une manifestation de la difficulté pour les élèves apprenant la physique de relier le monde des objets/événements et le monde des théories/modèles.