5. le basculement de la situation 9 (autocollimation, 12 novembre 1996, 43 minutes)

Cette neuvième situation est consacrée à la mesure de la distance focale d’une lentille convergente par la méthode d’autocollimation. Elle a été placée par l’enseignant après les situations 10 et 11, consacrées respectivement aux méthodes de Bessel et de Silbermann ; c’est une décision qu’il a prise au dernier moment, au début de la séance, en estimant que la difficulté de la méthode de Bessel justifiait qu’il ait plus de temps à y passer ; la méthode de Silbermann quant à elle est nécessairement accolée à la méthode de Bessel, car elle en constitue un cas particulier.

Les enregistrements des situations 10 et 11 ne sont pas exploitables, car la bande son de la cassette vidéo utilisée s’est révélée défectueuse. Mais heureusement l’utilisation du modèle matérialisé a grandement facilité la tâche des élèves dans la méthode de Bessel, ce qui fait qu’aucun problème de temps ne s’est posé, et la situation 9 sur l’autocollimation a pu se dérouler sans problème majeur de durée, au cours de la même séance de deux heures.

Comme les situations 10 (Bessel) et 11 (Silbermann), la situation 9 demande aux élèves de prédire à partir du modèle matérialisé comment il faut mener l’expérience qu’ils vont ensuite réaliser. La première question posée aux élèves est la question globale ‘« où faut-il mettre l’objet pour mesurer commodément la distance focale de la lentille ? »’ (étape s9-1-3 int. 9/68). Devant l’incapacité de toute la classe de répondre, la question a été coupée en quatre : dans un premier temps ‘« comment peut-on faire apparaître sur l’écran de l’ordinateur l’image du point source ? »’ (étape s9-2-1 int. 9/131) ; puis ‘« est-ce que les deux distances à l’axe sont égales [celle du point objet et celle de son image] »’ (étape s9-2-6 int. 9/247) ; puis ‘« comment est-ce que je peux faire changer ces distances »’ (étape s9-2-6 int. 9/249) ; puis enfin ‘« où doit-on mettre l’objet pour que l’image soit aussi grande que l’objet ? »’ (étape s9-2-6 int. 9/254). Il est clair que cette façon de décomposer la question initiale devant l’incapacité des élèves à la traiter se rapproche de l’effet Topaze classiquement décrit ...

Dans l’étape s9-1-5 les questions qu’Emmanuel se pose sur le fichier utilisé le conduisent à introduire le concept d’image virtuelle (int. 9/99), caractérisée par Adeline par le fait qu’on ne peut pas la voir sur un écran (int. 9/100). Cette notion n’avait pas encore été utilisée dans la séquence, le terme n’avait pas été utilisé jusqu’alors dans la séquence, son apparition ici renvoie donc à des acquis antérieurs.

Dans l’étape s9-2-1 Emmanuel énonce que l’image est localisée sur le plan focal objet (int. 9/149), et maintient sa position malgré une réponse négative de l’observateur (int. 9/153, puis étape s9-2-2 int. 9/155). Cela le conduit même à cesser d’écouter ce qui se dit devant toute la classe pour vérifier ce qu’il avance avec le cabri-fichier. Cette vérification occupe toute l’étape s9-2-2, et lui donne raison puisque par hasard, et à la suite de leurs manipulations antérieures, son point source est déjà dans la position souhaitable dans le plan focal objet. Or ce n’était pas le cas dans le fichier qui a été montré à l’ensemble de la classe et qui a servi de base à la discussion collective. Cette différence échappe à Emmanuel sur le moment, mais il s’en aperçoit quelques minutes plus tard (étape s9-2-3 int. 185-187). Il refait donc sa construction à partir d’un point source qui ne se trouve pas sur le plan focal ; il obtient un résultat conforme à ce qui est projeté pour toute la classe (et à cet instant précis le modèle informatisé joue son rôle de milieu didactique, au sens où il ne donne pas n’importe quelle réponse au gré de l’utilisateur, nous l’avons déjà signalé), mais en est toujours surpris et déçu (étape s9-2-3 int. 9/205). Cette déception permet de comprendre ce qu’il attendait réellement : il pensait que le faisceau issu d’un point particulier de l’objet, obtenu par la procédure qu’il connaît maintenant bien (trace et animation, cf. int.9/183) dessinerait l’image de tout l’objet (qui serait alors sur un plan comme il le dit à plusieurs reprises : étape s9-2-1 int. 9/142-149, étape s9-2-2 int. 9/165, étape s9-2-3 int.9/180-185-205 ; or il est difficile de penser qu’il s’agit de sa part d’une simple maladresse d’expression ; il est peu vraisemblable qu’il dise de façon systématique et répétée que l’image d’un point est sur un plan s’il pense que c’est un point). Cela indique que pour lui le faisceau représente la lumière émise par tout l’objet, ce qui semble une résurgence de sa conception holistique d’un objet lumineux. Autrement dit sa controverse avec l’observateur fonctionne une nouvelle fois sur un malentendu : l’observateur parle de l’image d’un point de l’objet, alors qu’Emmanuel répond en pensant à l’image de l’objet, que le faisceau issu d’un seul point lui semble pouvoir mettre en jeu valablement. L’échec de sa tentative le plonge dans la perplexité et le rend plus réceptif que d’habitude aux explications d’Adeline qui montre du doigt, avec exactitude, où se situe l’image de l’objet (int. 9/208-210-212), et qu’à un point de l’objet correspond un point bien déterminé de l’image (le haut ou le bas).

L’étape s9-2-4 est importante : Adeline continue à chercher le sens de ce qui apparaît sur l’écran en référence à une expérience : qu’est-ce qui se passe si on place un écran à l’endroit de la convergence du faisceau ou si on le place ailleurs ? Elle prend donc en charge le lien entre le modèle matérialisé et le monde des objets/événements. Remarquons que l’enseignant avait déjà abordé explicitement cette question devant la classe : ‘« que voit-on si on met l’écran trop près ou trop loin ? »’ (étape s7-3-2 int. 7/249). Mais Adeline et Emmanuel étaient à ce moment là distraits par un problème de manipulation du logiciel et n’avaient pas écouté.

Le rôle d’Adeline dans cette discussion est très actif, et pourtant elle se contente de poser des questions sans imposer son point de vue. Emmanuel répond, mais n’a pas l’initiative de la conduite de la discussion. Le contenu de ses réponses témoigne à l’évidence du maintien de sa conception initiale : en parlant de la continuation du faisceau lumineux après le point de convergence (int. 9/217), il indique qu’il pense que l’image peut se former aussi bien sur la zone de convergence («  c’est » int. 9/221) qu’au voisinage de l’objet (« là c’est » int. 9/223). Il indique aussi que cette image sera plus grande au voisinage de l’objet (« ça sera déjà plus » int. 9/225) que si on place l’écran sur la zone de convergence du faisceau représenté sur l’écran de l’ordinateur (« en un point » int. 9/221). On retrouve exactement les idées développées dans la situation 2 (foyer principal image) au moment de décrire l’image de la constellation d’Orion. Mais la différence est qu’il n’est plus du tout sûr de la validité de ce qu’il dit : devant la suggestion d’Adeline ‘(« on va voir une lumière plutôt là non ( ?) »’ int. 9/224) qui signifie à notre avis que selon elle l’aspect sur l’écran d’observation serait flou (voir plus loin), il conclut (int. 9/225) ‘« je sais plus moi... je vais arrêter tout ça ».’

Sans qu’il soit plus explicite dans son jugement porté sur ses propres conceptions, dans le dialogue public qu’il a avec l’observateur dans l’étape s9-2-5, Emmanuel donne une expression conforme au point de vue de la physique : le point où se rassemblent tous les rayons émergents est l’image d’un point de l’objet. Il a même une verbalisation particulièrement nette, marquant son adhésion à la connaissance qui vient d’être exprimée et qui est la connaissance essentielle visée par la séquence d’enseignement ‘: « c’est ça une image »’ (int. 9/241).

Dans l’étape s9-2-8 Adeline revient à la charge : ‘« si on met un écran faut le mettre là [sur la zone de convergence]»’ (int. 9/285). Emmanuel tente d’introduire l’idée annexe de la visibilité de la totalité de l’objet (int. 9/287), mais elle insiste : ‘« si on met un écran entre/on va voir flou »’ (int. 9/295). Emmanuel résiste d’abord un peu ‘« on devrait voir tout l’objet »’ (int. 9/298), mais sur l’insistance d’Adeline (« ouais mais à mon avis on le voit flou » int. 9/299) il finit par concéder ‘« hmm ça se peut / ouais sûrement »’ (int.9/300).

Cet échange de propos manifeste que la conception initiale d’Emmanuel est toujours active après deux semaines d’enseignement pendant lesquelles la localisation précise d’une image a été manifestée aux élèves dans plusieurs expériences : ils ont dû eux-mêmes mettre au point sur des images réelles dans les situations 8 (formule de conjugaison, 2 fois), 10 (Bessel, 2 fois), 11 (Silbermann). Au cours de cette discussion Emmanuel est amené à modifier son point de vue ; cette évolution consciente est directement le fait des questions qu’Adeline lui pose, et de l’affirmation qu’elle fait elle-même que l’aspect de l’écran d’observation sera flou. Mais indirectement, aussi bien au niveau psychologique qu’au niveau des savoirs mis en jeu, la phase préalable où la prédiction d’Emmanuel disant que l’image d’un point sera « sur un plan » échoue, joue un rôle de déclencheur. Au niveau psychologique, cet échec le rend plus apte à accepter une remise en cause par les affirmations d’Adeline ; au niveau des savoirs, on a vu que la vision holistique de la lumière émise par un objet et la non-localisation de l’image étaient liées dans sa conception initiale, et la mise en échec de la première idée semble fragiliser la deuxième.

On pourrait dire qu’Emmanuel s’est trouvé confronté à un milieu didactique complexe : dans un premier temps le modèle matérialisé informatisé invalide une prédiction qu’il fait sur la nature de l’image qu’on devrait obtenir (représentée par un point au lieu d’un segment) ; dans un deuxième temps, il doit concéder à Adeline qu’on obtiendrait une « image floue » en plaçant un écran n’importe où en dehors de la zone de convergence des rayons émergents. Cette concession signifie qu’il doit admettre que le critère pertinent pour la formation d’une « bonne image » n’est pas sa taille, mais sa netteté. Or jusqu’à présent il a accordé une importance primordiale à l’attribut « taille ».

Dans la suite, Emmanuel donne rapidement le principe de la méthode d’autocollimation, qui de son point de vue est d’obtenir une image aussi grande que l’objet (étape s9-3-1 int. 9/320). On constate d’ailleurs qu’alors que les autres élèves, dans le dialogue public, parlent des distances entre l’objet, l’image et la lentille, Emmanuel ne parle que de la taille de l’image comparée à celle de l’objet.

La façon dont Adeline et Emmanuel réalisent la manipulation pour cette méthode d’autocollimation montre qu’ils se fixent successivement deux contraintes :

L’intervention de l’enseignant (étape s9-3-5) a pour effet de lever une difficulté particulière à cette méthode, à savoir que l’écran d’observation peut tout simplement être pris sur le porte-objet de la lentille, et non constitué d’un objet séparé. Il semble que pour les élèves ce soit difficile de séparer la fonction (permettre d’observer une image réelle) de l’objet (l’écran d’observation qu’on utilise habituellement pour cela), en cette occurrence. Par ailleurs l’enseignant donne le mode opératoire qui permet de localiser l’image conformément aux deux contraintes : déplacer l’ensemble lentille-miroir (int. 9/407).

Après avoir fait apparaître l’image nettement sur le plan de l’objet, Emmanuel applique la connaissance mise en évidence par l’étude sur le modèle matérialisé, à savoir que si les deux premières contraintes sont remplies, alors l’image est aussi grande que l’objet : il compare la largeur de cette image à la largeur de l’objet (étape s9-3-6 int. 9/431 à 437). Mais pour les deux autres lentilles dont la distance focale était demandée, leur seule vérification porte sur la conformité de leur résultat à la valeur de la vergence inscrite sur la lentille (étape s9-3-10 int. 9/521, étape s9-3-12 int. 9/585).