6.1 Situation 12 : loupe (10 décembre 1996, 62 minutes)

Cette situation porte sur l’étude de la loupe ; elle constitue donc une introduction à la notion d’image virtuelle, élargissement du concept d’image tel que les élèves le connaissent jusqu’à ce moment de la séquence. Elle est bâtie sur un mécanisme de prédiction, comme ce sera le cas également dans les situations suivantes, la manipulation du modèle matérialisé précédant la réalisation d’expériences.

Dès le début de la manipulation du fichier, Emmanuel manifeste une nouvelle fois l’importance qu’il attache à la taille de l’objet ou de l’image (étape s12-1-2, int. 12/21), car c’est la première possibilité de déplacement qu’il remarque. Adeline donne tout de suite l’interprétation de la figure en terme d’image virtuelle (int. 12/24), ce qu’Emmanuel juge naturel (int. 12/25). Le sens qu’ils donnent à cette image virtuelle est éclairé par les interventions 12/28 (Adeline) et 12/29 (Emmanuel) : ‘« ah ben voilà là on a une image [quand le faisceau émergent est convergent, donc quand l’image est réelle] et là hop a plus [quand l’objet passe devant le foyer et que l’image est virtuelle] »’. Ils maintiennent ce sens (Emmanuel en tous cas) lors de la discussion publique avec l’enseignant (étape s12-1-5 int. 12/64 ‘« il a pas tout le temps une image »’, int. 12/91). Mais dans l’étape suivante, Emmanuel accepte qu’il y ait une image virtuelle sauf si l’objet est exactement au foyer (int. 12/105).

Les étapes suivantes éclairent la divergence qui se manifestait de façon peu explicite entre Emmanuel et Adeline, quand ils discutent de la visibilité de cette image virtuelle. Pour Emmanuel, qu’une image soit virtuelle signifie qu’on ne peut pas la voir (étape s12-1-7 int. 12/129) ; par contre on peut la localiser sur un dessin (étape s12-1-7 int. 12/113). Pour Adeline on peut bel et bien la voir en regardant à travers la lentille, d’ailleurs elle fait référence à l’expérience que chacun peut avoir d’une loupe (int. 12/134). Comme c’est fréquemment le cas, c’est elle qui fait le lien avec le monde des objets et des événements.

L’étape 12-1-8 met en jeu un caractère essentiel de l’image : c’est ce qui remplace l’objet après traversée du système optique par la lumière. C’est la conséquence de sa caractérisation physique qui énonce que tous les rayons émergents passent par l’image. Emmanuel défend l’idée qu’on ne peut pas voir l’image puisqu’elle est virtuelle. Dans cette étape il raisonne par l’absurde : supposons qu’on voie l’image ; alors on verrait simultanément « l’objet et son image » (étape 12-1-8 int. 12/172) ? Et il insiste, un peu pour se moquer d’Adeline (int. 12/176-180) : on verrait un petit objet devant, et un grand (son image) derrière ? Quelle conception de l’image peut-on affecter à cette démonstration par l’absurde ? On peut traduire cette position en disant que pour lui il semble que de toute façon on voit l’objet ; si on admet qu’on voit cette image virtuelle, alors on voit les deux ; comme c’est impossible, c’est bien qu’on ne voit pas l’image virtuelle. Autrement dit, le lien entre objet et image n’est pas fait par la lumière qui arrive dans notre oeil, l’image est de nature consubstantielle à l’objet. On retrouve un aspect classique de l’image baladeuse, sa réification.

C’est l’intervention de l’enseignant qui clôt cette phase riche de discussions, mais Emmanuel, tout en ne s’avouant pas convaincu, avait renoncé à disputer avec Adeline (étapes12-1-10 int. 12/210).

Leur divergence se manifeste dans le dialogue public devant la classe (étape s12-2-2 int. 12/264 à 270). Emmanuel pose la question de la visibilité, et Adeline défend avec assurance le même point de vue que précédemment. L’enseignant ne répond pas à la question posée, mais renvoie les élèves à la réalisation de l’expérience correspondante. En préparant l’expérience, Emmanuel indique qu’il ne se sent pas très sûr de son point de vue (int. 12/281).

L’étape s12-2-5 donne la solution : Emmanuel doit constater qu’Adeline avait raison, qu’on voit l’image virtuelle en regardant à travers la lentille, agrandie, et non l’objet (int. 12/313 ‘« et je vois pas le petit objet devant »’ 37). Il reconnaît sa défaite (int. 12/330-332). Il acquiesce ensuite à toute l’institutionnalisation de l’enseignant (étape 12-2-8).

Notes
37.

La justification que donne Adeline est surprenante « je vois pas le petit objet devant normal parce qu’il a pas d’image de l’autre côté je peux pas le voir ». Ne témoigne-t-elle pas de la même séparation entre objet et image que celle dont Emmanuel semble faire preuve ?