6.4 Situation 15 : lunette astronomique (7 janvier 1997, 106 minutes)

Cette dernière situation traite d’un instrument d’optique particulier, la lunette astronomique. C’est une illustration d’une connaissance générale sur les instruments d’optique, à savoir que l’image dans le premier système optique (l’objectif) sert d’objet pour le deuxième système optique (l’oculaire). Cette idée est elle-même une conséquence inévitable du concept d’image comme point de passage, réel ou virtuel, de la lumière passant par l’objectif.

Le dispositif prévu pour cette situation 15 était d’abord de faire réfléchir les élèves à partir du modèle informatisé, puis de leur faire réaliser l’expérience. En réalité, comme les élèves n’arrivaient pas à produire à partir de la manipulation de l’ordinateur les réponses qui auraient permis à l’enseignant de les conduire à la relation entre distance focale de l’oculaire et grossissement, il a décidé un détour par une phase d’activité dans l’environnement papier-crayon.

Après une phase de mobilisation des connaissances des élèves sur les lunettes astronomiques, et l’affirmation qu’on peut les modéliser par un ensemble de deux lentilles, l’enseignant leur laisse découvrir le cabri-fichier correspondant. Cette découverte est en fait une attribution de sens aux éléments présents sur la figure. Que signifie par exemple le mot « oculaire » ? L’enseignant doit intervenir pour que les élèves constatent qu’on peut modifier l’inclinaison des rayons incidents (étape s15-1-4 int. 15/59-60) ; il est vraisemblable que l’absence de texte indiquant clairement que le point D1 sert à modifier cette inclinaison est une cause de cette inattention ; ce n’est peut-être pas la seule comme on le verra ci-dessous. Que le faisceau incident soit parallèle fait aussi partie du sens qu’il faut attribuer au fichier, puisque c’est la conséquence du fait qu’on veut observer des objets lointains avec cet instrument ; Emmanuel en est immédiatement conscient (étape s15-1-5 int. 15/79).

Dans la discussion sur le caractère afocal de la lunette, Emmanuel applique correctement pour toute la classe les règles de traversée des rayons à travers les deux lentilles, guidé par l’enseignant, ce qui lui permet de conclure, conjointement avec Adeline, que deux foyers doivent être confondus (étape s15-1-5 int. 15/100-102-103). Cependant il ne pose pas le problème en terme d’image intermédiaire, ni l’enseignant d’ailleurs.

Dans l’étape suivante, quand l’enseignant demande quel effet une modification de la distance focale de l’oculaire a sur le faisceau émergent, l’attention d’Emmanuel se porte sur la taille du faisceau, sur sa largeur ‘(« il est réduit »’ étape s15-1-6 int. 15/122). Réapparaît ici une tendance déjà maintes fois signalée à privilégier la taille des objets qu’on manipule. Par contre la modification de l’angle entre les rayons émergents et l’axe principal, également présent sur la figure, modification qui est l’aspect essentiel de ce que veut dire et faire dire l’enseignant, échappe à Emmanuel, même quand l’enseignant insiste (int. 15/128). Une fois que l’enseignant a prononcé le mot « dévié », Emmanuel lui demande ce qu’il entend par là (étape s15-1-7 int. 15/137) ; l’enseignant utilise l’écran de télévision visible par toute la classe pour lui faire comprendre.

Quand l’enseignant essaye de passer à la relation entre distance focale de l’oculaire et intérêt de la lunette astronomique, il se heurte à une réponse d’Emmanuel opposée à ce qu’il souhaite, et au silence du reste de la classe. L’enseignant veut faire dire qu’on a intérêt à ce que l’angle entre les directions de deux étoiles voisines soit le plus grand possible, pour qu’on puisse les séparer ; Emmanuel dit que les rayons émergents ne doivent pas être trop inclinés sur l’axe, sinon on ne verra pas « tout » (int. 15/164). Il est clair qu’Emmanuel n’identifie pas nettement quel est l’objet auquel on s’intéresse en regardant dans la lunette ; cet objet est d’ailleurs largement implicite dans le discours de l’enseignant. On peut faire l’hypothèse qu’Emmanuel considère qu’on est en train de regarder un objet de taille finie, qu’il ne faut pas trop grossir sous peine de ne pas le voir en entier ; dans son discours il y a doute sur le point de savoir si l’objet est une étoile située dans une direction donnée, dont la taille serait indiquée par la largeur du faisceau incident, et dont la taille de l’image serait indiquée par la taille du faisceau émergent, ou si l’objet en question s’étend depuis l’axe jusqu’au point situé dans la direction du faisceau incident. Mais qu’on adopte l’une ou l’autre interprétation, il demeure que la construction du sens de l’activité à laquelle on se livre en regardant dans la lunette est gênée par la difficulté à conceptualiser l’angle entre les deux directions de visée. Un angle est un être mathématique difficile à assimiler, et c’est peut-être une autre raison qui fait que les élèves n’identifient pas cette variable dans les éléments de la figure qu’on peut déplacer dans l’étape étudiée plus haut (s15-1-4).

Devant ce blocage, l’enseignant se replace dans un environnement papier-crayon, et fait au tableau le schéma des rayons que les élèves doivent recopier sur leur feuille. Il est ainsi conduit à repasser par une étape qu’il a déjà réussie, l’idée que le foyer image de la première lentille est confondu avec le foyer objet de la seconde. Cependant il le verbalise en s’intéressant aux foyers secondaires, et surtout en les traitant en termes d’image intermédiaire (étape s15-2-1 int. 15/198). Puis ce replacement dans un contexte déjà traité positivement une fois réalisé, l’enseignant reprend son problème et donne la réponse (int. 15/204) : ‘« on a intérêt à choisir une focale grande »’. La suite de son discours sert donc à justifier cette affirmation. Dans le même temps il précise l’objet qu’il prend : c’est bel et bien un objet AB, A étant sur l’axe et B dans la direction indiquée par les rayons incidents, avec une image intermédiaire de taille définie A1B1 (int. 15/204). Matérialiser l’image ainsi lui permet de se raccrocher à l’usage de formules mathématiques (int. 15/206-208), donc de mettre en oeuvre des automatismes chez les élèves (int. 15/205-207-227). Emmanuel applique parfaitement les règles de construction des rayons (int. 15/211).

Mais il faut bien en venir de nouveau à la relation entre distance focale de l’oculaire et intérêt pratique de la lunette (étape s15-2-2). L’incompréhension d’Emmanuel sur ce qu’est réellement l’objet qu’on veut regarder dans la lunette se manifeste de nouveau quand il a beaucoup de mal à comprendre qu’on ne peut pas jouer sur l’angle repérant la direction d’incidence pour le rendre aussi petit qu’on souhaite (int. 15/233-235). C’est l’explication détaillée de l’enseignant sur la nature de ce qu’on prend comme objet (int. 15/238-240) qui lui fait comprendre la nécessité que l’angle entre l’axe et les rayons émergents soit grand (int. 15/243-245). Autrement dit, c’est la mise en relation du modèle graphique qui est représenté au tableau ou sur l’ordinateur et de la référence expérimentale extérieure qui permet de trancher la question. Quant au raisonnement sur la valeur que doivent avoir les distances focales pour que l’angle d’émergence soit grand, il est assuré essentiellement par les formules mathématiques établies précédemment (étape s15-2-3 int. 15/262 à 269 et 274).

Au cours des manipulations qui ont pour objet de faire mesurer un grossissement et de le comparer à la valeur théorique, Emmanuel n’arrive pas à obtenir une image finale nette et exploitable. À de nombreuses reprises (par exemple comme dans l’étape s15-3-3 int. 15/368) il approche et recule la lunette astronomique de l’écran d’observation, croyant résoudre son problème. Cela indiquerait qu’il n’a pas compris la conséquence dans le champ expérimental du fait que la lunette soit afocale, donc que les rayons qui en sortent issus d’un objet à l’infini sont parallèles : la position de la lunette sur le banc d’optique doit être indifférente. Emmanuel au contraire cherche à mettre au point, à utiliser la procédure habituellement en usage sur ce type de matériel. Par ailleurs il n’a pas tenu compte du fait qu’on veut observer dans la lunette directement avec l’oeil, et par conséquent que son montage doit comporter une simulation de l’oeil, un oeil réduit ; c’est l’enseignant qui le lui fait penser (int. 15/381). Enfin il est très gêné par le fait qu’il obtient (tout à fait au début de sa manipulation, alors qu’il n’a pas constitué un objet à l’infini, étape s15-3-3 int. 15/368) une image réelle qui ne ressemble qu’à une partie de l’objet ; peut-être peut-on trouver là une conception « de sens commun » de l’image, dont un caractère est qu’elle doit ressembler à l’objet, et en particulier en conserver la totalité. On retrouve ici une conception holistique de l’objet, qui, semble-t-il, n’a nullement disparu.

Pour sélectionner la lentille qui servira pour cet oeil réduit, Emmanuel procède par élimination : il essaye toutes les lentilles de l’ensemble contenu dans un sachet, et examine l’image qu’elles donnent sur un écran. Au cours de cet examen, il rejette une lentille au motif qu’elle donne une image nette sur un écran, mais agrandie (étape s15-3-3 int. 15/398). Or son problème antérieur était qu’il ne voyait qu’une partie de l’objet ; il cherche donc une lentille qui « normalement ...réduit ». Qu’une lentille puisse agrandir ou réduire suivant la position où elle est située entre l’écran et l’objet (ce qui est mis en évidence en particulier par la méthode de Bessel qu’il a déjà pratiquée) ne semble pas lui être présent à l’esprit ; la connaissance qu’il met en acte peut plutôt se formuler par l’idée que le grossissement opéré par une lentille est une qualité qui lui est attachée intrinsèquement. Surtout, se manifeste dans l’action l’idée que le critère le plus important est celui de la taille, et non celui de la netteté.

Lorsqu’il a constitué son oeil réduit, dans l’étape s15-3-4, il le place derrière la lunette en plaçant l’écran à la distance focale derrière la lentille, mais devant l’insuccès de sa manipulation il déplace l’écran. N’ayant toujours pas de succès, il consent à écouter ce que dit l’enseignant qui rappelle le principe de la méthode d’autocollimation, et l’applique. Comme cela ne change pas grand-chose, il suit la suggestion de l’enseignant qui conseille de vérifier que les deux lentilles de la lunette sont placées à la bonne distance l’une de l’autre de sorte que cette lunette soit afocale (étape s15-3-5). Plusieurs fois au cours de ces essais, comme il l’avait déjà fait précédemment, il emploie le mot « objet » à la place du mot « image » (par exemple int. 15/452 ‘« on voit plus ou moins l’objet »)’ : on peut rapprocher cet emploi de la discussion de la situation 12 (loupe, voir plus haut), désaccord entre Emmanuel et Adeline sur la question de savoir si on voyait l’image ou l’objet, ou les deux à travers la loupe ; cela indiquerait la persistance d’une conception particulière des rapports entre un objet et son image.

Lorsque Emmanuel doit expliquer à Adeline le principe de la méthode d’autocollimation, il a une formulation qui peut s’interpréter également comme une résurgence de sa conception initiale sur la formation des images : dans l’étape s15-3-8, int. 15/591, il dit en montrant le porte-objet où se forme l’image dans cette méthode ‘« si l’image est nette / du moins de même taille et ... nette ».’ En se reprenant (« du moins ») il semble indiquer que le bon critère d’application de la méthode est pour lui que l’image soit de la même taille que l’objet. Or ce n’est pas le bon critère : ce qui prouve que la distance objet-lentille est égale à la distance focale, c’est que l’image est nette sur l’objet ; qu’elle soit de même taille est une propriété dérivée, et ce n’est pas ce qui guide la mise au point. L’inversion de l’importance des facteurs à laquelle se livre Emmanuel est à notre avis significative. Nous l’avons d’ailleurs déjà noté dans l’analyse de la situation 9.

Quand après avoir réussi à obtenir une image nette avec et sans lunette, Emmanuel commence à mesurer le grossissement, il ne comprend pas ce qu’il doit faire : il fait le rapport de la taille d’une partie de l’objet sur la taille de la partie correspondante de l’image (étape s15-3-10 int. 15/640 à 648) ; Adeline pousse d’ailleurs à ce qu’on effectue la division dans le sens qui donnera une valeur plus grande que 1, puisque c’est un grossissement (int. 15/649). L’enseignant leur explique que le rapport en question est celui de la taille de l’image avec la lunette à la taille de l’image sans la lunette, deux images obtenues sur l’écran qui simule la rétine de l’oeil réduit (étape s15-3-11 int. 15/672). Emmanuel ne semble pas comprendre que c’est autre chose que ce qu’il a déjà fait (int. 15/675). Dans son intervention (int. 15/678), l’enseignant établit la relation entre la théorie et le champ expérimental, plus clairement qu’il ne l’a fait devant la classe entière.

Lorsque l’observateur utilise le poste visible par toute la classe pour montrer les manipulations qui conduisent à la notion de cercle oculaire, Emmanuel détecte immédiatement les problèmes du fichier (étape s15-4-1 int.15/769), liés à la définition des segments qui représentent les rayons émergents. Quand ils réalisent la manipulation, Emmanuel appelle « point » la zone lumineuse, certes petite mais non ponctuelle, qu’il voit apparaître sur son écran (étape s15-4-4 int. 15/826-828).