1. les modalités de l’apprentissage dans le contexte de notre étude

1.1 La stabilité des conceptions

Un fait essentiel que notre travail met en évidence est la stabilité des conceptions de l’élève sur la formation des images optiques (mais on peut sans grand risque considérer que c’est pertinent pour d’autres domaines, bien entendu).

Voilà un élève qui arrive dans un cours d’optique géométrique avec une conception bien identifiable, erronée du point de vue de la physique. Cette conception consiste principalement à affirmer que l’image d’un objet à travers une lentille peut se former n’importe où derrière la lentille. On pouvait faire l’hypothèse que la séquence d’enseignement prévue allait permettre le remplacement de ce point de vue erroné par un autre, plus conforme à la physique, pour deux raisons :

  • Elle comporte de nombreuses manipulations au cours desquelles l’image optique se forme à un endroit précis de l’espace situé derrière la lentille, et non n’importe où.

  • L’utilisation par les élèves d’un modèle matérialisé doit leur permettre de mettre en relation la formation localisée de cette image dans ces expériences et l’intersection des rayons émergents en un endroit précis de l’écran de l’ordinateur derrière le segment représentant la lentille.

Force nous est de constater que cette hypothèse était plutôt optimiste. Dans la réalité, l’élève observé a conservé son point de vue plus longtemps qu’on aurait pu l’espérer :

  • Après avoir observé la localisation de l’image dans les situations 7, 8 (où on lui demande de mesurer la distance entre la lentille et l’image, deux fois), 10, 11, soit au total en six occasions, il raisonne dans la situation 9 (que l’enseignant a déplacée après les situations 10 et 11) de nouveau comme si on pouvait l’observer n’importe où. Autrement dit, sa conception non conforme à la physique n’est déstabilisée ni par deux situations d’explicitations du concept d’image sur le modèle matérialisé, ni par quatre activités expérimentales qui la réfutent.

  • Il ne modifie pas sa réponse au test papier-crayon passé en fin de séquence sur la question qui manifeste cette conception (à dire vrai il est possible que cela vienne de son désintérêt pour ce test).

  • Certains de ses raisonnements à la fin de la séquence, dans la situation 15 portant sur la lunette astronomique, sont ambigus.

Une hypothèse pour expliquer la différence entre ce qui était attendu et ce qui a été observé, consiste à souligner l’imbrication que nous avons constatée entre la non-localisation de l’image et la conception holistique de l’objet (donc de l’image) chez Emmanuel. C’est pour expliquer les conditions de visibilité optimale d’un objet (la constellation d’Orion) que dans la situation 2 Emmanuel fait intervenir la possibilité pour l’image d’être observée aussi bien après qu’avant le point de convergence du faisceau émergent ; au contraire, c’est la déstabilisation par le modèle matérialisé d’une prévision qu’il fait à partir de sa conception holistique de l’objet qui, dans la situation 9, le rend réceptif aux arguments de sa coéquipière Adeline pour abandonner l’idée que l’image peut-être nette n’importe où.

Peut-être la séquence d’enseignement n’a-t-elle pas pris dès le départ assez explicitement le parti d’insister sur la décomposition de l’objet en points élémentaires. C’était pourtant une des raisons de choisir comme premier objet lumineux un ensemble d’étoiles distinctes les unes des autres, donc une somme d’objets ponctuels, et non un objet continu. Il semble bien qu’en l’occurrence ait joué le fait qu’une étoile n’est peut-être pas un objet ponctuel pour les élèves, mais au contraire un objet très gros de forme sphérique ; les problèmes que l’enseignant rencontre dans la situation 15 pour faire comprendre quel objet il envisage vont dans ce sens.

Il faut cependant noter qu’une situation entière, la 7 (image d’un objet), est dédiée à la décomposition en sources ponctuelles d’une source étendue, et à l’affirmation corrélative du modèle que l’image de l’objet est l’ensemble des images des sources élémentaires. Là encore remarquons que malgré cette situation 7, et malgré les manipulations détaillées du modèle matérialisé qu’elle comporte visant à reconstituer l’objet total comme superposition des positions successives du point source générique, une semaine plus tard, au début de la situation 9, la même conception holistique resurgit chez l’élève observé.

Elle resurgit également sous une forme légèrement différente lors de l’étude de la loupe (situation 12) : l’argumentation par l’absurde d’Emmanuel, suivant laquelle on ne peut pas voir l’image virtuelle en regardant dans la lentille car sinon on verrait à la fois l’objet et son image, témoigne d’une conception particulière de l’image ; celle d’une image matérialisée, ensemble global envoyé à travers la lentille par un objet global. Les explications données antérieurement dans la séquence sur le rôle de la lumière dans la constitution de cette image ne semblent pas avoir porté.

Ce que de nombreux travaux antérieurs ont montré se manifeste donc une nouvelle fois : certaines conceptions initiales des élèves sont extrêmement résistantes à l’enseignement.