1.3 Un apprentissage par changement de statut et de force de la conception

Dans le chapitre 9 de ce travail nous avons synthétisé notre étude de l’apprentissage réalisé par l’élève observé en lui attribuant la caractéristique d’un changement de la force attribuée à deux facettes du concept d’image par l’élève observé. De l’enseignement reçu antérieurement, ou de ses expériences communes, Emmanuel a construit l’opinion que l’aspect important dans les questions relatives aux images optiques était leur taille. En permanence il se focalise sur cet aspect de la réalité. On peut dire qu’il s’agit d’un critère d’ordre pratique, utilitaire. Or, du point de vue de la physique, ce n’est qu’une caractéristique secondaire, une conséquence ; le critère principal d’obtention d’une image correcte, c’est-à-dire semblable à l’objet et pouvant le remplacer après traversée d’un système optique, c’est la netteté de ce qu’on observe. Quand la position de l’objet par rapport au système optique est déterminée, il y a un seul endroit où on observe une image, et dès lors sa taille est fixée de façon irrévocable. Autrement dit, dans la théorie de la physique, les deux aspects netteté et taille de l’image n’ont pas le même statut, la taille est subordonnée à la netteté.

Comme nous l’avons signalé au chapitre 9, on peut estimer que la séquence d’enseignement a produit chez l’élève observé une prise de conscience, à partir de la situation 9 sur l’autocollimation, de la nécessité d’assurer d’abord que l’image soit nette avant de se préoccuper de sa taille. Cela ne veut pas dire qu’on n’observe plus la préoccupation permanente de la taille ; cela veut dire qu’on n’observe plus l’idée que l’image peut se former n’importe où derrière le système optique.

Si on essaye d’interpréter ce résultat dans les termes proposés dans le chapitre 2 de ce travail, ils se révèlent donc plus proches d’une vision de l’apprentissage comme changement de force ou de statut de conceptions (Petri & Niedderer, 1998) que du couple accrétion/révision (Vosniadou, 1994). En effet, il est vrai que l’élève observé accumule un certain nombre de connaissances nouvelles à son cadre théorique existant ; cependant on ne peut pas dire qu’une restructuration profonde se manifeste de manière visible sur le point particulier de la netteté de l’image. Comme nous venons de le dire, il s’agit plutôt d’une modification de l’importance, de la force, qu’il attribue soit à la taille soit à la netteté, donc à la localisation précise, de l’image.

Mais le point essentiel est que nos résultats conduisent à souligner que l’élève réagit différemment suivant qu’il se situe dans le monde des objets/événements ou dans le monde du modèle : dans le champ expérimental, par exemple dans la situation 8 (formule de conjugaison) où il prend des mesures pour valider la formule de conjugaison, il est bien obligé de donner priorité à la netteté de ce qu’il observe sur l’écran blanc. Mais quand il fait des prédictions dans le modèle, c’est l’aspect « taille » qui a la force prépondérante jusqu’à ce que se produise le changement de la situation 9 (autocollimation).

Notre propre expérience d’enseignant, comme la littérature antérieure, montre d’ailleurs que le cas d’Emmanuel est loin d’être isolé : très souvent on croit que les étudiants, dans une manipulation d’optique, travaillent sur une image bien définie, alors qu’en regardant soi-même dans l’appareil qu’ils ont réglé on observe quelque chose de tout à fait flou. Même la sensation simple de voir net doit être apprise, et n’a rien d’évident.