2. des résultats sur l’apprentissage étroitement dépendants d’un cadre théorique

Nous souhaitons souligner que les résultats que nous venons d’énoncer n’auraient pu être formulés sans le cadre théorique que nous avons appliqué, qui pourtant ne prend pas explicitement en considération les phénomènes d’apprentissage.

La « théorie de la modélisation », pour se satisfaire provisoirement de cette expression qui pourrait certainement être améliorée, énonce des assertions sur une description possible du fonctionnement de la physique, comme faisant intervenir deux mondes mis en relation, et sur le fonctionnement des élèves en train de se livrer à des activités de physique. Elle ne comporte pas en elle-même des éléments sur l’évolution des connaissances ou des capacités des élèves au cours du temps dans une séquence d’enseignement, sur l’apprentissage.

Il faut sans doute en chercher la raison dans le fait que les études qui ont été menées jusqu’à présent dans ce cadre théorique, et dans un contexte scolaire, portaient sur des séances relativement courtes, et non comme dans notre cas sur plusieurs mois d’enseignement.

C’est pourtant bien l’idée centrale que les élèves ont du mal à tisser des correspondances entre les deux mondes qui nous autorise à comprendre que l’élève observé estime, quand il travaille dans le monde du modèle, qu’on peut voir une image n’importe où derrière la lentille, plus ou moins grande, alors que presque dans le même temps il se livre à des manipulations où il doit mettre son écran d’observation à une distance bien déterminée de la lentille s’il veut observer un spectacle net ressemblant à l’objet. Le schéma ci-dessous organise les relations entre les différents aspects de la théorie de l’élève et son comportement dans le champ expérimental lorsqu’il est en classe de physique.

Dans la théorie de l’élève, deux sous-ensembles coexistent : sa conception initiale à propos de la formation des images, et des éléments de la théorie physique qu’on lui a enseignés et qu’il a assimilés, par exemple les règles de traversée d’une lentille par un rayon. Il arrive à plusieurs reprises que l’élève fasse une prédiction sur la nature, la forme, la place, la taille de l’image ; il utilise alors principalement sa conception initiale, en ayant recours au besoin à des éléments conformes à la théorie de la physique. Ces prédictions ne sont pas compatibles avec les connaissances en actes qu’il met en oeuvre dans le champ expérimental lors d’une mise au point, alors que bien entendu les éléments théoriques conformes à la physique le sont. Bien entendu aussi, la conception initiale de l’élève peut être compatible avec des observations qu’il peut faire dans le cadre de sa pratique quotidienne, ce qui la légitime à ses yeux.

Autrement dit, on peut décrire la théorie-élève comme un conglomérat de croyances, certaines conformes à la physique et d’autres non. Ces différentes facettes, ou des ensembles de facettes, peuvent être activées ou non suivant la situation. Le cadre de la théorie de la modélisation est un moyen d’aborder le problème de la coexistence des différentes facettes.

Plus largement, l’adhésion à la « théorie de la modélisation » comme cadre théorique nous a conduit d’une part à mettre en place une séquence d’enseignement dont le contenu est explicitement structuré par les processus de modélisation, et d’autre part à utiliser un modèle matérialisé comme moyen d’action principal de cette séquence ; et c’est dans le contexte de cette séquence que cette analyse de l’apprentissage peut se déployer. N’oublions pas que c’est lors d’une activité sur ce modèle matérialisé qu’Emmanuel prend conscience qu’il y a un problème dans l’ensemble de croyances qui constitue son point de vue sur la formation d’une image en optique. C’est son interprétation du modèle qui lui est présenté qui se trouve prise en défaut, et qui déstabilise son argumentation face à sa camarade.