a. Les développements théoriques récents

Dans le prolongement des travaux sur l’impact de la concentration Yin et Zuscovitch [1998] ont proposé un modèle de duopole dans lequel les firmes peuvent choisir d’investir en produit ou en procédé. La R et D de produit est risquée, tandis que la R et D de procédé est certaine pouvant être assimilée à de l’innovation incrémentale. Les auteurs envisagent qu’initialement les deux firmes produisent le même bien mais n’ont pas des coûts identiques : celle dont les coûts sont les plus élevés vend un volume inférieur (c’est la firme de petite taille) tandis que la firme avec des coûts initialement plus faible vend plus (c’est la grande firme). Il est alors démontré que :

  • La firme détenant initialement la plus grande part de marché retire un gain plus important d’une nouvelle réduction de coût que la firme suiveuse.

  • La firme détenant initialement la plus faible part de marché a en revanche plus d’incitations que la firme dominante à développer de nouveaux produits car elle bénéficie alors d’un nouveau marché. Elle pâtit moins que le leader de l’effet de substitution du nouveau bien vis-à-vis de l’ancien (du fait de sa plus faible part de marché).

Dans un tout autre registre, développant l’idée selon laquelle les conditions de valorisation des innovations de produits et de procédés sont différentes, Cohen et Klepper [1996]24 parviennent au même résultat que Yin et Zuscovitch [1998]. A la différence de Yin et Zuscovitch [1998] leur analyse ne considère pas la taille relative des firmes mais leur taille absolue. Elle n’est pas non plus statique et purement théorique mais s’inscrit dans une perspective dynamique (suivie d’une même firme au cours de sa croissance) et empirique. Partant directement du constat fait par Scherer [1991] d’une augmentation de la part de R et D allouée aux procédés avec la taille des firmes, Cohen et Klepper [1996]b tentent d’apporter une explication économique à ce phénomène. Ils partent du principe que le rendement des activités innovantes est lié à la taille des firmes au moment où elles entreprennent l’innovation. En effet, les firmes dans la plupart des cas sont obligées d’exploiter leurs innovations au travers de leur propre production tandis que l’effet de l’innovation sur la croissance est lent à se manifester. Selon le type d’innovation mis en oeuvre ce lien serait néanmoins variable :

  • Dans le cas des innovations de produits, il serait plus facile de les valoriser en dehors de l’entreprise (par la cession de licences par exemple) et leur effet sur la croissance des ventes serait assez important. L’impact de la R et D de produit sur le profit (π2) se note alors :

Π2 = a 2(hq+k)pc2(r2)-r2

avec :

  • q la production de la firme quand elle fait de l’innovation de procédé seule.

  • h la fraction des clients actuels de l’entreprise qui achètent le nouveau bien.

  • k sont les ventes additionnelles et les cessions de licences.

  • r2 les dépenses de R et D de produit.

  • pc2(r2) est la marge supplémentaire (prix moins coût) réalisée sur le nouveau produit.

  • Dans le cas des innovations de procédés, la cession de licence est moins facile puisque leur mise en oeuvre dépend souvent de la détention de connaissances complémentaires de nature idiosyncratique. Le rendement de ces innovations est donc souvent jugé supérieur par l’innovateur que par tout autre acheteur potentiel. Le meilleur moyen de s’approprier les retombées de l’innovation de procédé est par conséquent sa mise en oeuvre interne sans qu’il ne soit attendu d’augmentation significative du volume des ventes. Le profit attendu suite aux investissements de R et D tournés vers les procédés se note donc :

Π1 = a1qpc1(r1)-r1

avec :

  • q la production de la firme quand elle fait de l’innovation de procédé seule ;

  • r1 les dépenses de R et D de procédé ;

  • pc1(r1) est la réduction du coût moyen issue de l’innovation de procédé.

Dans les deux cas on suppose :

pour i=1,2 (avec i=1 pour les procédés et i=2 pour les produits) pci(ri)’>0 et pci(ri)’’<0 pour tout ri>0 ce qui traduit des rendements décroissants en fonction du volume de R et D.

Les auteurs spécifient la forme de chacune de ces fonctions comme suit :

pci(ri)’=biri -(1/ β i)

où :

  • bi représente le niveau des opportunités

  • βi le rythme de décroissance du rendement des investissements de R et D dans les innovations de type i.

Le rendement attendu des dépenses de R et D tournées vers les innovations de produits va par conséquent moins dépendre de la taille des firmes ex ante que le rendement escompté de la R et D de procédé dont la valorisation du résultat est proportionnelle au volume des ventes ex ante. De fait, une firme initialement petite va être plus fortement incitée à investir en R et D de produit qu’une firme initialement plus grande. Ceci va générer un niveau de croissance plus élevé chez les firmes de petite taille que chez celles de grande taille. Cette croissance va progressivement rendre la R et D de produit de moins en moins attractive en comparaison de la R et D de procédé. De fait, plus une firme va croître, plus elle va être incitée à investir dans les innovations de procédés tandis que les innovations de produit vont progressivement devenir moins attractives et donc plus rares. Le rapport p=r1/(r1+r2) (avec 1 pour les procédés, 2 pour les produits) représente l’équilibre qui s’établit entre les innovations de produits et de procédés. Après manipulations de leurs résultats les auteurs en extraient quatre propositions :

  1. si β12=β alors p est fonction croissante de la taille initiale des firmes.

  2. si β12=β <= 1 alors p croît à taux décroissant avec la production initiale de chaque firme.

  3. en fonction du niveau initial de p, l’impact d’une variation de la taille initiale sur p va être différent. Quand p est très petit ou très grand l’impact de dq va être faible sur p en comparaison de ce qu’il peut être quand p=1/2.

  4. lorsque K (ventes additionnelles et cessions de licences consécutives à l’innovation de produit) augmente cela accroît la sensibilité de p face à q. Comme les innovations de produits génèrent plus de croissance, on évolue donc plus vite vers un état où les innovations de procédés sont de plus en plus rentables.

Notes
24.

Voir aussi Cohen et Klepper [1996]a pour des développements s’inscrivant dans le même type de perspective.