c. Dynamique de l’appropriation et innovations de produits & procédés

Même si les brevets protègent mieux les innovations de produits que de procédés, leur efficacité demeure faible en comparaison d’autres moyens d’appropriation comme le secret. Les brevets ne seraient pas non plus très efficaces pour obtenir des royalties (dans la mesure où la cession de licence demeure difficile32) (Von Hippel [1982], Levin, Klevorick, Nelson et Winter [1987], Harabi [1995]). Les firmes seraient donc obligées de valoriser leurs innovations de manière à les incorporer à leur production (par opposition à une valorisation non incorporée par le biais de licences,...). L’accent se déplace alors de considérations générales et souvent sectorielles vers l’étude des mécanismes micro-économiques expliquant à quels stades du processus de production / distribution les firmes rencontrent des opportunités d’appropriation (Von Hippel [1982]).

Si pour les innovations de procédés le secret sur les opérations de production est possible, ce n’est pas le cas pour les produits. En l’absence d’une protection suffisante par les brevets, la valorisation des innovations de produits dépend alors presque exclusivement du temps de réponse des concurrents33 (Von Hippel [1982]). Outre l’existence du manque de connaissances chez l’imitateur, le temps de réponse correspond au temps de franchissement par l’imitateur de diverses autres barrières (production, technique et commerciales). La valeur du temps de réponse est alors déterminée par différents facteurs :

De fait, l’appropriation des innovations de produit va dépendre de manière cruciale de phénomènes dynamiques permettant à la firme innovante d’exploiter plus rapidement que ses concurrents l’avantage qu’il y a à être le premier sur le marché. S’il n’y a aucun avantage à cela, l’innovation de produit devient alors très difficile du fait des mauvaises conditions d’appropriation (faible efficacité du brevet, secret difficile). Dans cette perspective, les mécanismes d’action de la taille et de la concentration semblent plus clairs. C’est en produisant rapidement de gros volume pour établir des barrières à l’entrée et progresser dans l’effet d’expérience que l’innovateur en produit peut ensuite librement valoriser son innovation et assurer le maintient de son avance (Von Hippel [1982], Gruber [1992], Gruber [1994]).

Ces analyses soulignent ainsi le rôle non négligeable de facteurs qui n’ont pas trait directement à l’effet économique de l’innovation mais à ses origines et en particulier aux formes et à l’ampleur des apprentissages qui y contribuent. Les conditions d’appropriation ne seraient donc pas totalement exogènes au processus d’innovation. Au contraire elles seraient largement déterminées par les conditions de développement des innovations de produits et de procédés et en particulier par ’l’origine des opportunités technologiques’ qui contribuent à leur apparition et par l’ampleur des apprentissages qui les accompagnent.

Notes
32.

Cette remarque s’oppose à l’hypothèse de Cohen et Klepper [1996], qui leur permet de rendre compte de l’évolution du ration produit/procédé en fonction de la taille des firmes.

33.

i.e. : ’The period an imitator requires to bring an imitative product to market or to bring an imitative process to commercial usefulness when he has full and free access to any germane trade secrets or patented knowledge in the possession of innovator’ Von Hippel [1982], p.108.

En général cependant on ne parle pas du temps de réponse mais du ’lead-time’ i.e. : ’the period starting when an innovator introduces a new product to the market and ending when the first ’me-toot product is introduced by a competitor. ... An innovator may seek to prolong his lead-time beyond the period afforded by the response time by denying would-be imitators access to relevant know-how or patents and/or by various means such as adopting pricing strategies designed to forestall imitation.’, Von Hippel [1982], p.108, note de bas de page.

34.

Pour Teece, l’unité élémentaire pour l’étude des actifs complémentaires est la firme. L’innovation s’y définit comme ’a certain technical knowledge about how to do things better than existing state of the art.’. On suppose alors que ce savoir est partiellement tacite et codifiable sachant que dans presque tous les cas ’the successful commercialization of an innovation requires that the know how in question be utilized with other capabilities or assets.’, Teece [1986], p.288. Les “autres compétences ou actifs” dont il est question sont donc des actifs complémentaires qui vont permettre à la firme de s’approprier les retombées économiques de son innovation.