b. La qualité des facteurs de productions

La qualité du facteur travail

Le ’paradoxe’ apparent qui vient d’être signalé concernant le lien entre le coût des facteurs et le type de comportement innovant peut s’expliquer si en plus du coût des facteurs est introduite une mesure de leur ’qualité’. Cette mesure de la qualité des facteurs de productions permet de mettre en évidence la place particulière du travail dans le processus d’innovation. Le travail n’est plus simplement appréhendé comme un coût mais comme un facteur de production original partie prenante d’un processus d’innovation qui à l’encontre de l’image traditionnelle de l’entrepreneur schumpetérien revêt de nos jours une dimension collective indéniable (Huiban et Bouhsina [1997], p.109).

Kraft [1990] fait état d’un effet très significativement négatif de la proportion de ’cols blancs ’ dans le personnel sur l’innovation de produit qu’il interprète comme une action défavorable des structures bureaucratiques sur ce type d’innovation. En revanche, le niveau académique des employés n’aurait pas d’effet significatif sur l’innovation de produit. Les dépenses de formation du personnel n’auraient quant à elles pas d’effet significatif l’innovation de procédé.

A l’encontre de ces résultats allemands en demi-teinte, les travaux français de Hubian et Bouhsina [1997] et de Duguet et Greenan [1997] mettent en évidence des phénomènes plus tranchés. Hubian et Bouhsina [1997] exploitent les résultats de l’enquête innovation 1990 du SESSI pour le secteur des Indutries Agro-Alimentaires (IAA). Leurs résultats relatifs à la qualité du facteur travail pour l’innovation de produit / procédés sont synthétisés dans le Tableau 7. Ils font apparaître à intensité d’innovation donnée (radicale et incrémentale) une prédominance des catégories de personnel fortement qualifié (personnel de R et D) en faveur de l’innovation de produit plutôt que de procédé.

Tableau 7 : Types d’innovations: les catégories déterminantes
Type d’innovation Radicale Incrémentale
Produit Personnel R et D
Ingénieurs
Ingénieurs
Personnel R et D
Procédé Ingénieurs
Techniciens
Techniciens
Ingénieurs
Extrait de Hubian, Bouhsina [1997], p.126

Toujours à partir de données issues de l’enquête innovation française 1990 du SESSI mais portant cette fois-ci sur l’ensemble de l’industrie manufacturière française à l’exception des IAA, Duguet et Greenan [1997] étudient l’impact de la part des coûts totaux (capital plus travail) qui sont respectivement dédiés au personnel qualifié et d’exécution. Ils parviennent alors à la conclusion suivante : ‘’les entreprises plus riches en main d’oeuvre de conception et en capital ont une probabilité plus forte d’innover que celles dont la combinaison incorpore essentiellement de la main d’oeuvre d’exécution ’,’ P.1071. En outre, pour l’innovation de produit les coefficients associés aux personnels de conception seraient significativement supérieurs à ceux associés aux personnels d’exécution tandis que dans le cas des innovations de procédés les deux coefficients ne seraient pas significativement différents (ibid., p.1070 tableau 2). Autrement dit, les innovateurs de produits utiliseraient plus de main d’oeuvre de conception en proportion de la main d’oeuvre d’exécution que les innovateurs de procédés : les coûts humains pour la conception des innovations de produits seraient donc plus importants que pour les innovations de procédés.

Le ’paradoxe’ précédemment évoqué au sujet de l’effet positif des coûts du travail sur l’innovation de produit comme sur l’innovation de procédé trouve alors une explication évidente : le développement d’innovations de produits se fonderait sur l’emploi de personnels plus qualifiés et donc mieux rémunérés41 que les catégories de personnels impliquées dans l’innovation de procédés (essentiellement des techniciens).

Notes
41.

Même si aucune opposition tranchée n’émerge véritablement de ces travaux, il semble néanmoins se profiler une certaine opposition entre des stratégies de forts salaires / fortes qualifications (via l’emploi de personnel de R et D) en vue d’une concurrence par la qualité essentiellement fondée sur l’innovation de produit et des stratégies de faibles salaires / faibles qualifications en vue d’une concurrence par les coûts reposant sur l’innovation de procédé (Anderson et Holmes [1995]).