Les travaux évoqués dans ce chapitre s’inscrivent dans la tradition de l’analyse coût / avantage et l’appliquent à l’étude des déterminants des innovations de produits et de procédés. La perspective est principalement celle d’une économie d’allocation dans laquelle les conditions technologiques du développement des innovations de produits et de procédés demeurent largement inconnues. Pour des conditions de coûts de développement des innovations de produits et de procédés données, différents facteurs sont susceptibles d’expliquer une valorisation inégale des stratégies de réduction de coûts (innovation de procédés) et des stratégies d’accroissement de la demande (innovation de produit) :
Les caractéristiques de la demande semblent essentielles. L’élasticité prix de la demande accroîtrait les incitations à innover en procédés tandis que l’évolution anticipée de la demande, le goût pour la variété et l’incertitude agiraient très favorablement en faveur de l’innovation de produits.
L’impact de l’intensité de la concurrence telle qu’elle est mesurée par la concentration est en revanche plus difficile à évaluer, tant d’un point de vue logique48 qu’économétrique. Il semblerait néanmoins que la pression de la concurrence internationale agisse en faveur de l’innovation de produit.
En ce qui concerne la taille des firmes (absolue et relative), elle devrait théoriquement agir en faveur de l’innovation de procédés (Cohen et Klepper [1996], Yin et Zuscovitch [1998]). Pourtant, les résultats empiriques semblent plus controversés sans que l’on sache véritablement évaluer l’impact des erreurs de mesure (en particulier la théorie traite de la taille d’une firme dans une ligne de produits alors que la plupart des études économétriques mesurent la taille totale de la firme)49.
Ce sont les travaux sur l’impact des conditions d’appropriation qui nous renseignent finalement sans doute le plus et permettent de mettre en relief dans une perspective dynamique le débat sur l’impact de la taille et de la concentration. En effet, l’appropriation des innovations de produits semblerait beaucoup plus difficile que celle des innovations de procédés pour lesquelles le secret est un moyen efficace de protection. L’appropriation des bénéfices potentiels issus des innovations de produits s’appuierait donc en grande partie sur la constitution de positions dominantes (via la saturation du marché et plus généralement l’édification de barrières à l’entrée) et la descente rapide des courbes d’apprentissage. Les firmes de grande taille opérant sur des marchés déjà concentrés auraient ainsi plus d’aisance pour s’approprier les bénéfices de leurs innovations de produits comparativement aux autres firmes. De la sorte, la dynamique d’appropriation des innovations de produits ne dépendrait pas simplement de facteurs sectoriels exogènes aux firmes innovantes mais aussi de leurs capacités à entretenir leur temps d’avance et à retarder l’imitation au travers du développement d’actifs complémentaires et d’apprentissages prenant potentiellement la forme d’innovations incrémentales de procédés (Von Hippel [1982] et Teece [1986], Gruber [1995]).
Pour des conditions de valorisation données, d’autres études prennent en compte l’impact des facteurs qui interviennent dans les coûts de développement des innovations de produits et de procédés.
Les sources des opportunités technologiques agissant sur les innovations de produits et de procédés différeraient sur certains points. Les opportunités en provenance des fournisseurs stimuleraient les innovations de procédés tandis que celles en provenance des utilisateurs agiraient sur l’innovation de produit. Des phénomènes de feed-back sectoriels spécifiques (trajectoires technologiques) seraient aussi à l’oeuvre derrière les innovations de produits et de procédés. Les trajectoires tournées vers les produits se focaliseraient sur la demande tandis que celles tournées vers les procédés s’attacheraient plus aux caractéristiques techniques des produits et du processus productif.
La dynamique des apprentissages par la pratique stimulerait l’innovation de produits et la persistance d’un leadership dans l’industrie si tant est qu’il existe une certaine complémentarité entre les différentes générations de produits, et que l’ampleur des innovations et des spill-overs n’est pas trop importante (Gruber [1994]).
Contre toute attente théorique on observerait un effet positif et faiblement significatif du niveau des salaires tant sur l’innovation de produit que de procédé. La qualité du facteur travail serait en revanche déterminante. Ainsi, les innovateurs de produits investiraient plus en personnel de conception que les innovateurs de procédés.
Les facteurs organisationnels et en particulier la flexibilité sont susceptibles de déterminer les conditions dans lesquelles les innovations de produits et de procédés vont se développer simultanément ou au contraire de manière antagoniste. Pour qu’il n’y ait pas antagonisme (i.e. trade-off) une des conditions nécessaires est que les investissements qui permettent la flexibilité de produit et de procédé ainsi que le développement des innovations ne soient pas sur-additifs. Ce dernier point est particulièrement polémique et difficile à éclaircir sans une analyse préalable des processus d’apprentissages qui sous-tendent le développement et la mise en oeuvre effective des innovations de produits et de procédés.
A travers ces différentes recherches, nous assistons donc à un glissement progressif du débat en direction d’une exploration plus poussée des conditions micro-économiques du développement des innovations de produits et de procédés. En premier lieu l’étude des conditions d’appropriation des innovations de produits et de procédés a attiré l’attention sur l’importance décisive des phénomènes d’apprentissages pour expliquer l’aptitude des firmes à s’approprier les bénéfices des innovations de produits (Von Hippel [1982], Teece [1986], Gruber [1995]). Par la suite le travail de Athey et Schmutzler [1995] a permis de proposer des hypothèses dont la vérification implique de pousser plus avant l’étude des mécanismes d’apprentissages qui sous-tendent le développement des innovations de produits et de procédés. D’une problématique d’allocation de ressources construite dans une perspective coût / avantage nous nous acheminons ainsi vers un questionnement explicite sur les conditions cognitives qui président au développement des innovations de produits et de procédés. Les recherches en économie sur le sujet sont relativement peu développées. Une certaine cohérence existe néanmoins entre elle qui nous permettra de les mettre en perspective pour en proposer des prolongements empiriques intéressants dans les chapitres suivants.
Se pose en effet la question de l’endogénéité des structures de marchés.
Il serait envisageable d’observer une relation négative entre la taille des firmes sur une ligne de produit spécifique et l’innovation de produit dans cette ligne de produit alors qu’au niveau de la firme dans son ensemble la taille agit en faveur de l’innovation de produit.