Chapitre 2 : Les déterminants des comportements innovants de produits et de procédés : les logiques d’apprentissage

Dans une perspective essentiellement allocative fondée sur une analyse coûts / avantages le chapitre précédent a étudié les différentes conditions de valorisation des stratégies d’accroissement des ventes (i.e. d’innovations de produits) et de réduction des coûts (i.e. innovation de procédés). L’impact des conditions de développement des connaissances technologiques sous-jacentes n’était pas explicitement abordé50 même si les travaux sur l’appropriation (Von Hippel [1982], Teece [1986], Gruber [1995]), sur la qualité du facteur travail (Duguet et Greenan [1997]) et sur l’impact de la flexibilité (Athey et Schmutzler [1995]) en ont souligné l’importance décisive. Le présent chapitre fait état de recherches qui rompent avec cette méthodologie allocative pour se pencher sur les conditions d’apprentissage qui président au développement des innovations de produits et de procédés. La démarche met de fait l’accent sur les processus cognitifs préalables à l’apparition de comportements innovants et s’inscrit dans une approche d’inspiration évolutionniste. Notre objectif est de montrer, que les concepts de la théorie évolutionniste (en particulier de rationalité procédurale et d’innovation comme résultat d’un processus de résolution de problème) peuvent être fructueusement mobilisés pour mettre en lumière certains déterminants micro-économiques des innovations de produits et de procédés jusque là imparfaitement explicités.

La première section proposera des fondements cognitifs pour l’étude des déterminants des innovations de produits et de procédés. L’idée de départ est la suivante : l’innovation de produit se présente comme une réponse à un questionnement sur les fins tandis que l’innovation de procédé constitue la réponse à un questionnement relatif aux moyens. L’objectif de la seconde section sera alors de montrer que les capacités résolutoires des firmes dans chacun de ces domaines dépendent de l’existence et du développement de compétences spécifiques elles-mêmes associées à des connaissances (technologiques et plus largement économiques) de natures très différentes. Prolongeant cette analyse, la troisième section aura pour objet de souligner les attributs spécifiques des connaissances nécessaires à la résolution des questions relatives aux fins et aux moyens. Nous proposerons alors l’hypothèse selon laquelle les comportements innovants de produits et de procédés n’entraîneraient pas les firmes sur des trajectoires technologiques similaires se traduisant par des niveaux de persistance différents dans chacun des types de comportement innovant.

Schématiquement notre analyse est donc construite en trois étapes principales qui serviront de trame aux travaux empiriques respectivement présentés dans les chapitres III, IV et V (voir, Figure 6) :

  1. Analyse des processus de résolution de problèmes sous-jacents aux innovations de produits et de procédés : questions sur les fins vs. moyens.

  2. Identification des lieux économiques mobilisés lors du processus de recherche et de mise en oeuvre des solutions relatives aux produits et aux procédés. Définition des conditions d’incertitude dans lesquelles se déploient les activités résolutoires caractéristiques de chacune de ces formes d’innovation. On en déduit alors le type de compétences et la nature des connaissances technologiques mobilisées pour que le processus résolutoire soit fructueux.

  3. Définition des attributs des connaissances technologiques et finalement des trajectoires technologiques micro-économiques correspondant à chacune des formes d’innovation. Nous entendons ainsi montrer que le développement d’un comportement innovant n’est pas uniquement dicté par des considérations allocatives mais aussi par la dynamique propre de l’accumulation des connaissances technologiques relatives aux produits et aux procédés. A cet égard nous montrons aussi que les conditions d’appropriation sont elles-mêmes largement endogènes à ce processus d’accumulation.

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Figure 6 : Une démarche pour l’étude des déterminants des innovations de produits et de procédés
Notes
50.

Le travail de Gruber [1994] est à placer à part. Bien que s’inscrivant dans une perspective allocative, il aborde explicitement le problème de l’apprentissage par la pratique (lequel peut être assimilé à des innovations incrémentales de procédés).