Dans le point précédent nous avons souligné le caractère déterminant pour la définition du processus résolutoire de la question initialement soulevée par l’innovateur. Cette question initiale contraint l’ensemble du processus résolutoire qui est supposé lui apporter une solution (i.e. innovation). A cet égard, Pearson [1991] propose de distinguer les comportements innovants de produits et de procédés en fonction du type de questionnement initial auxquels ils sont supposés apporter des solutions :
les comportements d’innovations de produits permettraient d’apporter des solutions à des questions initiales relatives aux fins de l’activité productive,
les comportements d’innovations de procédés apporteraient des réponses à des questions initiales relatives aux moyens à développer pour atteindre une fin donnée.
Cette distinction cognitive entre innovations de produits et de procédés semble très forte. En particulier elle permet de supposer que les questionnements sur les fins et sur les moyens n’induisent pas l’émergence de processus résolutoires identiques : l’acquisition des connaissances nécessaires à la convergence vers une solution ne se ferait pas dans les mêmes conditions ni selon les mêmes règles. Cette distinction structurera la suite de ce travail.
Cette approche a d’autres implications, en particulier pour l’étude des innovations de produits et de procédés considérés simultanément (innovations de produits & procédés) :
l’innovation de produit pourrait théoriquement dans un premier temps se développer indépendamment de toute référence aux moyens de la servir même si dans un second temps les moyens disponibles contraignent les possibilités de réalisation des fins et/ou peuvent suggérer la poursuite de nouvelles fins.
l’innovation de procédé se définit à fin donnée : i.e. elle sert une fin prédéfinie même si dans un second temps elle peut ouvrir la voie à la poursuite de nouvelles fins.
Il existerait donc une complémentarité asymétrique entre les innovations de produits et de procédés (cf. Figure 7) : l’apparition du procédé serait subordonnée à l’existence préalable de la fin qu’il est supposé servir.
Cette asymétrie est implicitement présente dans la plupart des modèles étudiés dans le chapitre I :
Chez Utterback et Abernathy [1975] l’innovation de procédés dépend de l’émergence préalable d’un design dominant qui concerne les produits.
Dans le premier modèle de Gruber [1994], l’innovation de procédés s’apparente à un apprentissage par la pratique qui se développe sur une innovation de produit préalablement existante.
Pour Cohen et Klepper [1996], Klepper [1996], l’innovation de procédé est d’autant plus profitable que la taille de l’entreprise est importante. Or, pour ces auteurs la croissance (donc la taille) dépend initialement des innovations de produits.
Pour Gomulka [1990], l’importance primordiale de l’innovation de produit est posée en hypothèse : en long terme les parts de marché d’une firme n’innovant pas en produits tendent vers zéro. Cette hypothèse est d’ailleurs étayée par un certain nombre de travaux empiriques (Capon, Farley, Lehmann et Hulbert [1992]). Ainsi, de nouveaux moyens pourraient apparaître à fins inchangées. En revanche, l’apparition de nouvelles fins entraînerait le plus souvent un besoin accru en moyens. Empiriquement il devrait donc être plus difficile de distinguer les facteurs à l’origine des comportements d’innovations de produits et d’innovations de produits & procédés que d’isoler les facteurs à l’origine des comportements d’innovations de procédés.
Dans la section suivante, nous montrerons que cette différence de nature dans les questionnements sous-jacents aux innovations de produits et de procédés est porteuse de conséquences importantes. En particulier, les compétences et les connaissances technologiques à mettre en oeuvre pour parvenir à une solution innovante différeraient notoirement.