L’idée selon laquelle les innovateurs de produits et de procédés évolueraient le long de trajectoires technologiques différentes a récemment été développée par Klepper [1996] dans un modèle de cycle de vie de l’industrie. Klepper propose cette hypothèse sans véritablement la justifier. Notre travail permet d’y apporter certains éclairages.
L’auteur pose les hypothèses suivantes pour modéliser les comportements d’innovations de produits et de procédés des firmes75 :
Les firmes disposent de compétences hétérogènes (i.e. ’firm specific’) qui sont essentiellement perceptibles au travers de leur habileté à satisfaire les attentes des consommateurs, c’est à dire à innover en produit. Outre des facteurs firm specific, les efforts de R et D agissent sur les probabilités d’innovation mais leur impact est aléatoire (faible cumulativeness). De plus les innovations de produit sont très rapidement imitées et ne produisent des rentes que durant une courte période de temps (difficultés d’appropriation). Formellement Klepper [1996] transcrit cette idée comme suit :
P(I prod =1) = Si + g(rdit) ;
avec Si qui représente le niveau de compétences de la firme i et
g() le niveau des opportunités d’innovations de produit tandis que
rdit est le montant de R et D consacré en t par la firme i aux innovations de produit. Seules les dépenses d’innovations de produit présentent un risque.
Les innovations de procédés résultent plutôt du processus de production lui-même qui donne naissance à des innovations incrémentales de procédés fondées sur l’apprentissage par la pratique (on retrouve Gruber [1994] et l’idée de progrès technologique cumulatif). Ces innovations n’ont pas de caractère aléatoire. Elles sont proportionnelles aux dépenses de R et D de procédé notée rcit fonction du niveau des opportunités et indépendantes de l’identité de la firme qui les engages : l(rcit).
L’accumulation des connaissances technologiques de produits et de procédés ne se réaliserait donc pas dans les mêmes conditions donnant ainsi potentiellement naissance à des trajectoires technologiques différentes. Selon que les firmes innovent en produits ou en procédés ces trajectoires seraient caractérisées par trois points qui se justifient aisément à l’aide des développements que nous avons proposés tout au long de ce chapitre :
Imitation plus rapide des innovations de produits que de procédés d’un point de vue technique. Cette rapidité d’imitation provient de la mise en oeuvre de l’innovation de produit sur le marché. Ses caractéristiques techniques deviennent alors facilement imitable s’assimilant alors pour les concurrents à de la connaissance factuelle.
Composante firm specific marquée des innovations de produits. Malgré une imitation rapide des caractéristiques techniques du produit, les connaissances sociétales ayant présidé à leur développement et à l’identification du besoin demeurent totalement tacites et surtout redéployables pour le développement de nouveaux objets techniques.
Caractère aléatoire des innovations de produits mais déterministe des innovations de procédés. Compte tenu du caractère tacite des connaissances sociétales qui président au développement des innovations de produits, du nombre et de l’hétérogénéité des agents impliqués dans le processus, un fort degré d’incertitude subsisterait. Il ne serait pas essentiellement lié à la réalisation technique du produit mais plutôt à ses performances commerciales. De plus la faible cumulativité des connaissances techniques relatives aux produits (du fait d’une imitation rapide) s’opposerait à toute accumulation déterministe des connaissances techniques. L’aboutissement des innovations de produits serait donc plus incertain que celui des innovations de procédés qui s’inscriraient dans une dynamique cumulative relativement régulière d’apprentissages par la pratique et par l’utilisation.
Le cas des comportements innovants de produits & procédés n’est pas explicitement abordé mais les firmes sont implicitement toutes potentiellement innovantes en produits & procédés dans la mesure où elles peuvent toutes à la fois réaliser de la R et D de produits et de procédés.