Conclusion

L’objectif de ce chapitre était de montrer que la résolution des questionnements sur les fins (associés aux innovations de produits) et des questionnements sur les moyens (associés aux innovations de procédés) supposait la détention de compétences spécifiques. Au-delà d’une approche binaire polarisée sur les comportements innovants de produits et de procédés nous avons aussi essayé de cerner les compétences associées au développement conjoint de comportements innovants de produits & procédés.

Exploitant les données issues de quatre enquêtes innovations françaises sur deux périodes (CIS1 et Yale2 pour 1990-92 ; CIS2 et Compétence pour 1994-96) nous sommes parvenus identifier des régularités suffisamment nettes pour permettre la construction de profils de compétences types (cf. Tabmeau 35) :

Les comportements innovants de produits reposeraient essentiellement sur la détention de compétences d’interface externes avec les utilisateurs, les concurrents et les fournisseurs de matériaux et composants. L’existence de capacités absorptives fortes destinées à exploiter des opportunités émergeant en aval (dans le service marketing) plutôt qu’en amont (sur les lieux de production) jouerait aussi un rôle essentiel. Finalement, les capacités des firmes à exploiter des combinaisons productives globalement plus riches en personnels qualifiés (cadres plutôt qu’ouvriers) et à stimuler les comportements innovants individuels plutôt que collectifs exerceraient aussi un impact décisif sur les capacités des firmes à développer des comportements innovants de produits.

Les comportements innovants de procédés dépendraient moins fortement que ceux de produits de la détention de compétences d’interfaces externes à l’exception de celles tournées vers les fournisseurs d’équipements. Le niveau des capacités absorptives serait aussi moins déterminant. Les compétences décisives favorables à ce type de comportement innovant seraient en fait essentiellement liées à la capacité des firmes à exploiter les apprentissages par la pratique et par l’utilisation qui émergent sur les lieux même de production. De fait la capacité des firmes à gérer un personnel peu qualifié (plutôt des ouvriers que des cadres), à développer une interface efficace entre la R et D et la production plutôt qu’entre la R et D et le marketing, et finalement à stimuler les comportements innovants collectifs plutôt qu’individuels constitueraient des éléments particulièrement favorables à l’exploitation des opportunités d’innovations de procédés.

L’apparition de comportements innovants de produits & procédés serait quant à elle essentiellement fonction de la capacité des firmes à mobiliser simultanément l’ensemble des compétences d’interfaces externes caractéristiques des comportements innovants de produits et de procédés (fournisseurs, utilisateurs, concurrents). Bien que cela soit statistiquement moins net, les comportements innovants de produits & procédés reposeraient d’une part sur les compétences des firmes en matières d’interfaces externes avec les institutions scientifiques et dans le cadre de coopérations et d’autre part sur le niveau de leurs capacités absorptives. La capacité des firmes à assurer le recrutement d’un personnel qualifié pour innover jouerait aussi un rôle positif qui demeure néanmoins plus difficile à évaluer.

Ces résultats étayent globalement l’analyse évolutionniste qui a été proposée dans le chapitre II. En particulier, le rôle essentiel des compétences d’interfaces externes en faveur des comportements innovants de produits permet de souligner l’importance potentielle en leur faveur des connaissances factuelles (en provenance principalement des concurrents) et des connaissances sociétales issues d’apprentissages par l’interaction. A contrario, les comportements innovants de procédés dépendraient beaucoup plus de compétences associées à l’exploitation des savoir-faire issus d’apprentissages par la pratique et par l’utilisation qui émergent sur les lieux de production. Finalement, dans le cas des comportements innovants de produits & procédés, le rôle des compétences d’interfaces externes à la fois avec les fournisseurs, les concurrents, les utilisateurs, la science et dans le cadre de coopérations illustre la grande variété de connaissances dont s’alimentent ces comportements innovants : connaissances factuelles (par les concurrents), sociétales (par les fournisseurs et utilisateurs) mais aussi scientifiques et pratiques (via la coopération).

De toute évidence les comportements innovants de produits, de procédés et de produits & procédés reposent donc sur le développement de compétences différentes mais aussi sur l’acquisition de différents types de connaissances technologiques Ces connaissances technologiques présentent des attributs particuliers susceptibles d’expliquer d’une part des niveaux d’appropriation différents en fonction du type de comportement innovant considéré et d’autre part différents degrés d’accumulation technologique. Nous étudierons plus en détails ce sujet dans le chapitre suivant.