Chapitre 5 : La persistance des comportements innovants

Le chapitre précédent montrait empiriquement que le développement d’innovations de produits et de procédés reposait sur l’exploitation de compétences très variées. Nous en avons déduit que la nature et les attributs des connaissances technologiques mobilisées par les firmes différaient aussi. Ainsi que nous l’avons montré de manière théorique dans le chapitre II, compte tenu de leur impact sur les conditions d’accumulation et d’appropriation technologique, ces disparités pourraient expliquer le développement de comportements innovants présentant des profils temporels variés identifiables à travers leur caractère cumulatif, spécifique à chaque firme et irréversible dans l’espace produit-procédé. Exprimé de manière synthétique, les innovateurs de produits et de procédés n’évolueraient pas dans les mêmes conditions de dépendance du sentier : ils seraient engagés sur des trajectoires technologiques distinctes. Notre premier objectif consiste donc à d’identifier ces trajectoires et à les comparer afin de conclure à l’existence ou non de différences significatives dans leurs caractéristiques selon que les firmes ont initialement développé des comportements innovants de produits, de procédés ou de produits & procédés. La deuxième étape consiste à identifier certains facteurs susceptibles d’expliquer leurs principales caractéristiques.

Un certain nombre d’études empiriques qui se penchent sur l’évolution des comportements innovants dans le temps se regroupent autour d’une référence que nous partageons à la notion de ’persistance’ (Cefis [1996], Malerba, Orsenigo et Peretto [1997], Geroski, Van Reenen et Walters [1997], Le Bas Cabagnols et Gay [2000], Cefis [1999], Malerba et Orsenigo [1999]). Dans ces travaux la persistance est essentiellement une indicatrice du caractère cumulatif des trajectoires technologiques dans la mesure où elle s’assimile formellement soit à la probabilité conditionnelle pour qu’une firme innovante à l’instant t innove encore à l’instant t+dt, soit à un coefficient d’autocorrélation entre deux niveaux successifs d’activités ou de performance technologique161. Même si certains de ces travaux permettent d’étudier la spécificité du changement technologique, à notre connaissance, aucune étude empirique ne s’est explicitement penchée sur la dimension locale et irréversible du changement technologique. Dans notre cas la distinction produit / procédé qui fonde notre sujet de recherche place au coeur de nos préoccupations la dimension qualitative du changement technologique. Nous ne limiterons donc pas notre analyse à l’étude de la ’persistance’ des comportements innovants au sens strict mais nous tenterons de proposer un certain nombre d’indicateurs supplémentaires susceptibles de nous renseigner sur le caractère non seulement cumulatif des trajectoires technologiques mais aussi spécifique à chaque firme et irréversible dans l’espace produit-procédé.

La première section de ce chapitre proposera une opérationnalisation ’statistique’ du concept de trajectoire technologique conçue comme la réalisation d’un processus markovien. Nous décrirons en même temps les principaux outils économétriques développés pour leur étude dans les cas les plus généraux. Nous présenterons dans la seconde section les données d’enquêtes disponibles pour l’étude de l’évolution des comportements innovants sur les périodes 1985-90, 1990-92 et 1994-96. Compte tenu des difficultés d’appariement nous nous limiterons à l’étude d’un processus markovien d’ordre 1 entre les périodes 1990-92 et 1994-96 en mobilisant principalement les enquêtes CIS1 et Compétence. Ayant défini l’ordre de la chaîne de Markov sous-jacente au processus étudié nous pourrons alors dans une troisième section présenter l’emploi de différents instruments de description et de comparaison des trajectoires technologiques. Nous suggérerons et testerons alors empiriquement un certain nombre d’hypothèses quant aux spécificités des trajectoires technologiques de produits, de procédés et de produits & procédés. Dans une dernière section, nous focalisant sur l’indicateur de persistance nous tenterons de vérifier l’impact des compétences sur les probabilités de persistance des différents types de comportements innovants.

Notes
161.

Mesurée à l’aide d’indicateurs comme le nombre de brevets déposés ou le volume de RD.