b. Comparaison des caractéristiques des trajectoires de produits, de procédés et de produits & procédés

Après une approche très générale de ces résultats nous désirons à présent proposer une étude plus spécifique qui permette de comparer les caractéristiques des trajectoires technologiques consécutives au développement initial de comportements innovants de produits, de procédés ou de produits & procédés. A cet effet, suivant l’approche décrite dans le premier paragraphe de cette section il est possible de calculer pour chacune de ces sous-populations différents indicateurs. Les résultats sont présentés dans le Tableau 47 ci-dessous.

Tableau 47 : Caractéristiques empiriques des trajectoires technologiques de produits, de procédés et de produits & procédés entre 1990-92 et 1994-96 dans les enquêtes CIS1 et Compétence
Trajectoire technologique en 1990-92 (1)
Critères(5)
Produit
[1]
Procédé
[2]
Produit & procédé
[3]
Non-Innovation Tests de comparaison de proportions (3)
Persistance / Sortie 0,72 0,65 0,82 [1][2]ns ; [1][3]** ; [3][2]***
Continuité (produits, procédés) 0,34 0,37 [1][2]ns
Rupture 0,06 0,05 [1][2]ns
Diversification 0,33 0,22 [1][2]ns
Recentrage 0,36  
Entrée (2) 0,47 0,68 0,38 0,33  
Entrée (4) 0,39 0,48 0,33 [1][2]ns ; [1][3]ns ; [3][2]**
Turbulence (2) 0,75 1,04 0,55  Non testé
(1) La trajectoire technologique d’une firme est définie en fonction du type de comportement innovant qu’elle a adopté sur la période 1990-92.
(2) En proportion de la population initialement engagée dans la trajectoire considérée en 1990-92
(3) Nous avons effectué des tests de comparaison de proportions pour lesquels l’hypothèse nulle était H0 : [X]-[Y]=0. Les résultats du test bilatéral sont présentés sous la forme : [X][Y]ns lorsque H0 ne peut pas être rejettée ; [X][Y]* lorsque H0 est rejettée au seuil de 10%, [X][Y]** : au seuil de 5%, [X][Y]*** au seuil de 1%, [X][Y]**** : au seuil de 0.1%.
(4) En proportion du nombre de firmes engagées sur la trajectoire en 1994-96
(5) Le mode de calcul de ces différents critères est détaillé sous l’intitulé «  construction d’indicateurs économiques pour la description des trajectoires technologiques ».Source : A partir du Tableau 45

Si nous faisons abstraction des tests statistiques les hypothèses suggérées dans le paragraphe 2 de cette section semblent au premier abord presque toutes validées :

  • Les firmes engagées sur des trajectoires de produits & procédés seraient plus persistantes que celles engagées sur des trajectoires de produits elles-mêmes plus persistantes que celles engagées sur des trajectoires de procédés. De toute évidence les trajectoires de procédés sont celles dont le caractère cumulatif est le moins marqué211.

  • Les chances de continuité des comportements innovants pour les firmes engagées sur des trajectoires de procédés sont 1,14 fois plus fortes que pour celles engagées sur des trajectoires de produits. Ceci signifierait que le niveau d’irréversibilité des comportements innovants de produits est moins marqué que dans le cas des procédés.

  • Les chances de diversification sont 1,74 fois plus importantes pour les firmes engagées sur des trajectoires de produits que pour celles engagées sur des trajectoires de procédés. Ceci met en évidence à la fois un caractère fortement cumulatif et faiblement irréversible des trajectoires de produits.

  • Les menaces d’entrées innovantes auxquelles font face les firmes engagées sur des trajectoires de procédés seraient 2,38 fois plus importantes que dans le cas des trajectoires de produits et 3,46 fois plus importantes que pour celles de produits & procédés212. Cette aisance d’entrée dans un comportement innovant de procédé traduit selon nous la faible spécificité de ce type de trajectoire technologique.

  • Le niveau de turbulence est maximum le long de trajectoires technologiques de procédés : deux fois plus élevé que dans le cas des trajectoires de produits & procédés ; supérieur de 38% à ce qu’il est le long de trajectoires de produits. Ce résultat confirme l’idée selon laquelle le changement technologique est bien moins spécifique dans le cas des comportements innovants de procédés que dans le cas des comportements innovants de produits & procédés et de produits. Le niveau maximum de spécificité s’observerait le long de trajectoires de produits & procédés.

Malgré ces résultats satisfaisants d’un point de vue ’appréciatif’, statistiquement en revanche seulement trois tests se sont révélés significatifs alors que nous observons des différences de proportion relativement fortes (allant jusqu’à 10% entre innovateurs de produits et de procédés). Dans un certain nombre de cas ce phénomène proviendrait plus d’effectifs observés insuffisants213 que de fluctuations d’échantillonnages comme nous le montrons dans le Tableau 253 reporté en annexe. Ce tableau synthétise les caractéristiques observées des différentes trajectoires technologiques pour chacun des appariements qu’il était possible de réaliser entre les enquêtes Innovation 1990, CIS1, Yale2, CIS2 et Compétence. Conformément aux résultats obtenus par appariement des enquêtes CIS1 et Compétences nous observons 4 phénomènes marquants qui abondent en faveur de nos hypothèses :

  • 7 appariements sur 8 font état d’un niveau de persistance supérieur chez les innovateurs de produits & procédés que chez les innovateurs de produits qui eux-mêmes persisteraient plus que les innovateurs de procédés ([3]>[1]>[2]214). Ceci appuie l’hypothèse selon laquelle les trajectoires de produits & procédés et de produits présentent un caractère plus cumulatif que celles de procédés.

  • L’ensemble des 8 appariements font apparaître un niveau de diversification plus important pour les innovateurs de produits que pour ceux de procédés, abondant ainsi en faveur de l’hypothèse selon laquelle non seulement les trajectoires de produits sont plus cumulatives que celles de procédés mais aussi présentent un plus faible niveau d’irréversibilité.

  • Lorsque l’entrée est estimée en proportion du nombre de firmes finalement engagées sur la trajectoire on observe dans tous les cas un niveau d’entrée supérieur le long des trajectoires de procédés plutôt que le long des trajectoires de produits tandis que le niveau minimum d’entrée revient dans 6 cas sur 8 aux trajectoires de produits & procédés. Ceci tendrait à confirmer l’hypothèse selon laquelle les trajectoires de procédés présentent une plus faible spécificité que celles de produits et de produits & procédés.

  • Dans 6 cas sur 8 le niveau de turbulence est maximum le long de trajectoires de procédés et minimum pour celles de produits & procédés ce qui tend à confirmer simultanément l’idée d’un caractère plus spécifique des trajectoires de produits & procédés et de produits que de celles de procédés.

A défaut d’un support statistique explicite par les tests ces constats apportent une certaine assise empirique à nos hypothèses de départ en ce qui concerne au moins la persistance, la diversification, l’entrée en proportion de la population engagée sur la trajectoire en t+1 et la turbulence. Dans les autres cas en revanche (la continuité, la rupture et l’entrée évaluée en proportion de la population initialement engagée sur la trajectoire), il ne semble pas possible de trouver un quelconque soutien supplémentaire. L’ensemble de ces éléments est synthétisé dans le Tableau 48 et résumé comme suit :

  • Les trajectoires de produits présenteraient une forte persistance accompagnée d’un élargissement progressif du champ d’activité technologique en direction des procédés. Ceci traduirait le caractère cumulatif et faiblement irréversible du changement technologique. Les niveaux d’entrée et de turbulence seraient plus faibles que le long des trajectoires de procédés indiquant aussi une plus forte spécificité du changement technologique.

  • Les trajectoires de procédés présenteraient un faible niveau de persistance et d’élargissement. Ceci traduirait le caractère faiblement cumulatif et relativement irréversible de ce type de trajectoire. Les niveaux d’entrée et de turbulence seraient plus élevés que le long des trajectoires de produits indiquant aussi une plus faible spécificité du changement technologique.

  • Les trajectoires de produits & procédés présenteraient un caractère plus fortement cumulatif que celles de produits et de procédés et un niveau de spécificité très marqué identifiable par de faibles niveaux d’entrée et de turbulence.

Tableau 48 : Les caractéristiques économiques des trajectoires technologiques de produits, de procédés et de produits & procédés : Synthèse des résultats
Type de trajectoire technologique(1) :[1] : produit
[2] : procédé
[3] : produit & procédé
Hypothèse initiale Résultats empiriques
issus de l’appariement de CIS1 et Compétence
Résultat des tests statistiques (3) Régularité empirique Conclusion
Persistance / Sortie [3]> ;[1]> ;[2] [3]> ;[1]> ;[2] [3]> ;[1]** [3]> ;[2]*** 7/8 Les trajectoires de produits & procédés et de produits sont plus cumulatives que celles de procédés
Continuité (produits, procédés) [2]> ;[1] [2]> ;[1] ns 2/8 Manque d’éléments pour conclure
Rupture [1]> ;[2] [1]=[2] ns 2/8 Manque d’éléments pour conclure
Diversification [1]> ;[2] [1]> ;[2] ns 8/8 Les trajectoires de produits sont plus cumulatives et moins irréversibles que celles de procédés
Entrée (2) [2]> ;[1]> ;[3] [2]> ;[1]> ;[3] 3/8 Manque d’éléments pour conclure
Entrée (4) [2]> ;[1]> ;[3] [2]> ;[1]> ;[3] [3]=[2]** 6/8 La spécificité des comportements innovants est plus faible pour les trajectoires de procédés que pour celles de produits et de produits & procédés
Turbulence (2) [2]> ;[1]> ;[3] [2]> ;[1]> ;[3] Non testé 6/8 Le caractère spécifique et cumulatif des comportements innovants est plus faible pour les trajectoires de procédés que pour celles de produits et de produits & procédés
(1) La trajectoire technologique d’une firme est définie en fonction du type de comportement innovant qu’elle a adopté sur la période 1990-92.
(2) En proportion de la population initialement engagée dans la trajectoire considérée en 1990-92
(3) Nous avons effectué des tests de comparaison de proportions. ns. pour non-siginificatif ; * significatif au seuil de 10%, ** : au seuil de 5%, *** au seuil de 1%, **** : au seuil de 0.1%.
(’4) en proportion du nombre de firmes engagées sur la trajectoire en 1994-96

Interprétées dans une perspective shumpetérienne, ces différentes trajectoires pourraient être redéfinies en termes de régime technologique. Les firmes engagées sur des trajectoires de produits & procédés évolueraient dans des régimes technologiques dits ’routiniers’ caractérisés par une dynamique technologique cumulative et spécifique tandis qu’à l’opposé les firmes engagées sur des trajectoires de procédés s’inscriraient plutôt dans une dynamique technologique de type ’entrepreneurial’ faiblement cumulative, peu spécifique induisant de fortes irréversibilités. Les firmes évoluant sur des trajectoires de produits se situeraient entre ces deux archétypes mais seraient semble-t-il plus proches des innovateurs de produits & procédés que de procédés.

Notes
211.

Exprimés en termes plus parlant de ratio de chance (’odd-ratio’) les innovateurs de procédés seraient confrontés à des risques d’interruption de tout comportement innovant 1,38 fois plus élevés que les innovateurs de produits et 2,45 fois plus élevés que les innovateurs de produits & procédés !

212.

Les odds-ratio sont calculés à partir des données relatives aux proportions de firmes entrantes en comparaison de la population de firmes initialement engagées sur la trajectoire.

213.

En effet, pour que deux proportions respectivement de 0.45 et 0.55 soient significatives au seuil de 5% il faut disposer d’environ 218 observations dans chaque échantillon (soit un total de 436 observations) alors que nous n’avons que 103 innovateurs de produits et 64 innovateurs de procédés !

214.

Sauf dans le cas de l’appariement de CIS1 et CIS2 où nous avons le classement suivant : [1]>[3]>[2].