Conclusion générale

A diverses occasions la littérature économique souligne les effets différenciés des innovations de produits et de procédés sur l’échange international (Vernon [1966], Magee [1977], Cantner et Hanusch [1993]), la croissance (Young [1991], [1993]), l’emploi (Rottman et Ruschinski [1997],Caballero et Hammour [1996], Duguet et Greenan [1997], Hubian et Bouhsina [1997]) ou encore les performances des firmes (Lin et Lunn [1984], Capon, Farley, Lehmann et Hulbert [1992], Albach [1989], MacPherson [1994], Nicolas [1996]). Peu d’éléments sont en revanche connus quant aux facteurs susceptibles d’expliquer l’apparition au sein des firmes d’un progrès technologique ’biaisé’ en faveur des produits ou des procédés. L’objectif de cette thèse était donc de s’interroger de manière explicite sur les déterminants susceptibles d’expliquer le développement par les firmes de comportements innovants de produits plutôt que de procédés223.

Le chapitre I a proposé un survol aussi général que possible de la littérature théorique et empirique traitant des déterminants des comportements innovants de produits et de procédés. La plupart de ces développements repose sur une hypothèse fondamentale relative aux effets économiques respectifs des innovations de produits (’l’accroissement des ventes’) et des innovations de procédés (’la réduction des coûts’). Suivant cette approche, l’apparition de comportements innovants spécifiques s’expliquerait par une valorisation inégale de ces deux catégories d’objectifs qui se traduit par une allocation de ressources disproportionnée en faveur de l’un d’entre eux et finalement par l’apparition d’innovations de produits et de procédés. Ces travaux peuvent être regroupés selon qu’ils mettent l’accent soit sur les conditions de valorisation de l’innovation sur le marché224 soit sur leurs conditions de développement225. Nous avons alors montré qu’ils soulevaient un certain nombre de questions importantes relatives au rôle des qualifications, des apprentissages et des structures organisationnelles qui leur étaient particulièrement difficiles d’explorer efficacement à partir d’un cadre analytique allocatif. Ce constat a justifié le développement dans le chapitre II d’une approche alternative fondée sur l’étude des processus cognitifs qui président au développement des comportements innovants. Cette analyse constitue notre principal apport théorique. Suivant en cela Pearson [1991] les types de comportements innovants ne sont plus alors distingués en fonction de leurs effets mais en fonction du type de questionnement auquel ils apportent des réponses : les comportements innovants de produits apporteraient des réponses à des ’questions sur les fins’ de l’activité productive, tandis que les comportements innovants procédés fourniraient des réponses à des ’questions relatives aux moyens’ à mettre en oeuvre. Le développement d’un type de comportement innovant particulier s’expliquerait ainsi par la détention de capacités cognitives spécifiques permettant la résolution plus efficace de certaines catégories de problèmes. Exploitant principalement les développements de Cohen et Levinthal [1990], différentes hypothèses ont été proposées quant aux types de compétences nécessaires à la résolution de ces questionnements : compétences d’interface externe, compétences d’interface interne et capacités d’absorption. Exploitant la typologie de Lundvall et Johnson [1994] nous avons montré que ces compétences pouvaient être associées à des connaissances technologiques et économiques spécifiques caractérisées par leur nature et leurs attributs. Conformément aux hypothèses suggérées par Klepper [1996] ces éléments nous ont permis d’envisager l’existence de trajectoires technologiques types associées aux comportements innovants de produits, de procédés et de produits & procédés et de proposer l’hypothèse selon laquelle les firmes innovantes en produits et en produits & procédés seraient plus persistantes que celles innovantes en procédés.

Les trois derniers chapitres s’inscrivent directement dans le schéma théorique suggéré par le chapitre II : l’objectif est d’en tester économétriquement les principales propositions. Le chapitre III teste l’hypothèse selon laquelle les questionnements sous-jacents aux comportements innovants de produits et de procédés diffèrent. Exploitant les enquêtes CIS1 (1990-92) et CIS2 (1994-96) du SESSI nous avons pu vérifier à l’aide de régressions logistiques multinomiales sur composantes principales que les comportements innovants de produits sont principalement liés à des questionnements relatifs aux fins de l’activité productive (conquête de nouveaux marchés et extension de la gamme), tandis que les comportements innovants de procédés sont plutôt associés à des questionnements portant initialement sur l’amélioration des performances du processus productif (en termes de qualité plus qu’en termes de coûts uniquement). Le chapitre IV prolonge cette analyse en s’interrogeant sur la nature des compétences mobilisées pour la résolution de ces différentes formes de questionnements. Exploitant simultanément quatre enquêtes du SESSI (CIS1 et Yale2 pour la période 1990-92 ; CIS2 et Compétence pour la période 1994-96) nous montrons par l’estimation de modèles logits multinomiaux l’existence de profils de compétences spécifiques aux innovateurs de produits, de procédés et de produits & procédés. Conformément aux hypothèses théoriques du chapitre II le développement de comportements innovants de produits (associés à des questionnements sur les fins) reposerait essentiellement sur des compétences d’interface externe et sur la capacité des firmes à entretenir une certaine diversité des connaissances internes. Les connaissances associées à ces compétences seraient surtout de nature sociétale et factuelle. Les firmes innovantes en procédés (dont les questionnements portent sur les moyens) mobiliseraient essentiellement des compétences d’interface interne afin d’exploiter les apprentissages qui émergent sur les lieux de production. Les connaissances mobilisées à cette occasion seraient plutôt de nature pratique. Finalement les innovateurs de produits & procédés s’appuieraient sur le développement simultané de compétences d’interfaces externe en particulier dirigées vers les institutions scientifiques. Le chapitre V pousse l’approche jusque dans ses limites en proposant d’étudier l’impact des compétences sur les caractéristiques des trajectoires technologiques des firmes. Se fondant sur l’appariement des enquêtes CIS1 (1990-92) et Compétence (1994-96) du SESSI ce dernier chapitre développe une approche markovienne des trajectoires technologiques. Conformément aux hypothèses suggérées dans le chapitre II nous montrons que les trajectoires technologiques initiées par des comportements innovants de produits et de produits & procédés tendent à être plus cumulatives, plus spécifiques et moins irréversibles que celles initiées par des comportements innovants de procédés. Compte tenu de la taille réduite de notre échantillon nous avons focalisé notre attention sur la seule dimension cumulative des trajectoires technologiques à travers l’indicateur de persistance. L’estimation de différents modèles logit dichotomiques nous a alors permi d’observer un effet significatif des compétences d’interface externe sur les probabilités de persistance quel que soit le type de comportement innovant initialement développé par les firmes. L’action favorable des capacités d’absorption a en revanche semblé moins systématique puisque limitée aux seules firmes engagées sur des trajectoires de produits et de produits & procédés.

A l’issue de ce travail il est ainsi possible d’affirmer que les concepts évolutionnistes présentent un intérêt évident pour l’étude des déterminants des comportements innovants de produits et de procédés dans la mesure où ils éclairent un certain nombre de déterminants imparfaitement pris en compte par les approches de type allocatif. Diverses hypothèses particulièrement originales ont alors été suggérées comme en particulier la possibilité d’associer différentes trajectoires technologiques aux comportements innovants de produits, de procédés et de produits & procédés. Au-delà de son intérêt théorique la distinction entre différents types de comportements innovants se révèle empiriquement pertinente puisqu’il est possible de mettre en évidence entre ces trois populations des différences notables quant à leurs questionnements technologiques, aux compétences sur lesquelles s’appuient leurs processus de recherche de solutions et aux caractéristiques de leurs trajectoires technologiques. Des travaux complémentaires semblent néanmoins nécessaires pour éclairer de manière plus fine l’impact des compétences sur les caractéristiques des trajectoires technologiques et en particulier pour identifier les facteurs qui déterminent leurs effets différenciés selon les types de comportements innovants initialement développés par les firmes. En outre, le développement d’enquêtes identifiant explicitement les comportements innovants de produits et de procédés développés conjointement semblerait particulièrement utile en vue d’une étude plus systématique des facteurs de complémentarité entre types de comportements innovants.

Notes
223.

Une attention particulière a été accordée aux cas dans lesquels les fimes développent conjointement ces deux formes d’innovation à travers ce que nous avons qualifié d’innovation de produits & procédés.

224.

Il s’agit principalement des conditions de demande, de l’intensité de la concurrence, de la taille des firmes et des conditions d’appropriation.

225.

Nous avons examié l’impact des opportunités technologiques, des formes d’apprentissages, du coût et de la qualité des facteurs de production ainsi que des caractéristriques organisationnelles des firmes.