3. Une réponse constituant l’axe hypothétique de la recherche.

Toute hypothèse, étant la réponse choisie élaborant l’axe directionnel de la recherche, s’inscrit obligatoirement dans un champ théorique spécifique. Cette recherche tend donc à développer le fait que la construction de cet apprentissage n’est pas exclusivement un acte dépendant du champ linguistique, ou psychologique ou sociologique. Les qualités de l’action parentale établissant une relation entre l’enfant et l’acte lexique ont probablement un impact sur cet apprentissage, dans la mesure où le cognitif et l’affectif sont des vecteurs concomitants qui s’interpénètrent. A leur tour, ils sont dépendants à la fois de deux aspects : individuel et social. Nous faisons donc les deux hypothèses suivantes.

Il s'agit, dans un premier temps, de clarifier la relation entre l’enfant et le parent au moment de cet apprentissage. De nombreux mots, dans la langue française existent, pour désigner ce type de relation entre "celui qui sait" et "celui qui ne sait pas" : aide, comme l'aide aux devoirs, qu'organisent certaines associations de quartier pour les enfants après l'école avant que leurs parents arrivent, accompagnement, compagnonnage, comme les jeunes artisans qui effectuent leur tour de France auprès de plusieurs maîtres de stage afin d'obtenir une expérience diversifiée. D'autres synonymes pourraient peut-être convenir comme soutenir, suivre, escorter, assister qui sont plus ou moins proches du sens d’accompagnement ou d’aide. Dans le champ de la psychologie cognitive, le terme de médiation apparaît comme le plus adéquat pour qualifier cette relation ; il se rencontre dans différents champs de recherche en droit ou en sciences sociales. Il a une acception particulière quand il s’agit de psychologie cognitive. Vu qu'il demande à être élucidé de la façon la plus précise, nous nous référons pour le moment à une citation de S. BRUNER qui, reprenant l’idée de “Zone de Proche Développement” théorisée par VYGOSTKY (1985), dit que “l’adulte, grâce à sa conscience, peut fournir un étayage à l’enfant dans le contexte de l’interaction sociale pour qu’il puisse accomplir des tâches lorsque sa capacité ne lui permet pas de les accomplir seul”. Ainsi, mettant l’accent sur l’importance des interactions entre parents et enfants lors de l'apprentissage de la lecture, le concept de “médiation” apparaît incontournable pour cette recherche.

Prenant en compte cette définition, parallèlement à l'école et notamment, lors de la petite enfance (0 à 3 ans), pendant la période de la maternelle (3 ans à 6 ans) ou lorsque l'enfant est en C.P.,nous partons donc du postulat que les parents aident peu ou prou leur enfant à s'approprier l’acte lexique en assurant une médiation entre l’écrit et lui. Ils mettent en œuvre, implicitement ou explicitement, un style de relation de médiation cognitive s'inscrivant dans la durée entre la naissance et les six ans de leur enfant ; cette relation sera efficace ou pas pour l'appropriation de l'acte lexique.

Ce postulat posé, il est nécessaire de répondre à la question en exprimant le plus précisément possible les qualités (critères) même de cette médiation parentale. Sachant, par ailleurs que le traitement de l’écrit dépend largement des structures de projet que l’enfant lui assigne 16 , on peut dire que cette mise en projet ne peut être efficiente que s’il y a parallèlement une médiation porteuse de sens à ce projet. En d’autres termes, dans des conditions favorables, l'enfant non seulement se constitue un sens de l’écrit mais élabore en même temps des habiletés mentales (conscience phonologique, savoir se repérer dans le temps et l’espace, construit des liens, avoir une capacité d’abstraction, savoir discriminer etc.) indispensables à l’acte lexique. Ainsi, implicitement ou explicitement, il prendra conscience de la valeur de l’écrit et de sa signification intrinsèque (lire un livre n’a pas la même signification que lire une lettre et n’exige pas les mêmes démarches).

Par conséquent, il est maintenant possible de poser l'hypothèse. Il semblerait que c’est en offrant une médiation porteuse d’un projet de sens congru avec l’acte lexique que les parents faciliteront l’appropriation des habiletés indispensables à l’acte lexique.

La difficulté d’une telle recherche réside dans le fait que, même si les deux concepts clés se situent dans le champ théorique de la psychologie cognitive, chacun d’eux revêt des contours épistémologiques différents. Le premier, “la médiation” devra être circonscrit en tant que se différenciant fondamentalement de la transmission culturelle. Le second, “apprentissage de l’acte lexique”, non seulement sera expliqué dans les articulations qu’évoquent les différents termes qu’il sous-tend, mais devra montrer les liens avec le langage, vecteur de la construction des habiletés mentales indispensables à l’acte lexique. Par conséquent, il s’agira de chercher comment cet apprentissage est conditionné, entre autres, par la médiation des parents.

Nous nous éloignons ainsi des recherches psychologiques élaborant uniquement des hypothèses sur des aspects cognitifs de la lecture pour ne prendre en compte que l’aspect médiationnel dont il fait l’objet. Cette étude s’écarte également des recherches sociologiques cernant des paramètres d’ordre strictement socio-économique et établissant ainsi des liens de causalité entre difficulté ou réussite et pouvoir économique. Il ne s’agit pas, de prime abord, de chercher à tisser un rapport causal entre milieu socioculturel et réussite en lecture. Ne construisant pas de protocoles expérimentaux, cette présente recherche a pour vocation d’étudier le phénomène dans un contexte social donné : la famille. Que s'y passe-t-il lorsque l’enfant commence cet apprentissage ? Pour cela, la psychologie, la linguistique, et la sociologie peuvent apporter leur contribution dans la mesure où l’on dépasse une certaine dichotomie entre ces différents champs de recherche 17 .

Plus précisément, nous sommes dans un contexte socio-constructiviste des opérations cognitives propres à l’apprentissage de l’acte lexique. Pourquoi ?. Il est le premier code appris par l’enfant qui va le construire. Il s’inscrit dans une psychogenèse mais également dans une sociogenèse. Non seulement, il nécessite des compétences cognitives (moyens), mais il ne peut s’élaborer que si un sens (finalité) et un crédit à apporter soutiennent un tel investissement ; le contexte familial, omniprésent et incontournable depuis la naissance de l’enfant, aidera peu ou prou à cette construction. Ce sera donc l’occasion de voir si le projet de sens, tel que Antoine de la GARANDERIE le développe longuement dans son œuvre, peut être consolidé par autrui à partir du moment où ce dernier reste solidaire affectivement et cognitivement. Nous sortons quelque peu du registre endogène, propre à celui qui apprend pour apporter une dynamique exogène. Là, les travaux de VYGOTSKY, de BRUNER complétés de ceux de R. FEURSTEIN étaieront, également le champ théorique de la recherche 18 .

Il va sans dire que le développement intellectuel dépend en grande partie des activités et des stimulations que l’enfant reçoit du milieu dans lequel il vit. Dire que les différences de milieux sociaux suscitent des différences dans la construction et l'élaboration des structures intellectuelles apparaît ici comme une évidence. Ces différences apparaîtront d'elles-mêmes, mais elles ne suffiront pas à la compréhension de tel ou tel phénomène qui pourrait sembler important dans l'élaboration de l'apprentissage de l’acte lexique chez le jeune enfant. Il ne s'agit donc pas de vouloir orienter la recherche afin de confirmer ce point de vue (cela a déjà été fait) mais plutôt de tenter d'y trouver des explications plus fines en s'orientant vers une description et une compréhension de la relation médiationnelle entre le parent et l'enfant lors de l'apprentissage de l’acte lexique. La macrosociologie a déjà rendu compte d’un certain nombre de réponses concernant des faits sociaux sur une échelle suffisamment grande, en les transformant en chiffres. Elle est inopérante quand il s’agit d’expliquer avec finesse tel ou tel comportement d’acteur qui ne correspond pas exactement aux présupposés sociaux habituels (LAHIRE, 1995) 19 .

Notes
16.

GATE (J.P.).- Gestion mentale et apprentissage du lire-écrire, vers une pédagogie phénoménologique.- LYON II, Université Lumière, 1993, Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, page 19.

17.

DOISE (W.), et MUGNY (G.).- Le développement de l’intelligence.- Sarcelles, Inter-Editions, 1981, page 26.

18.

Les champs théoriques seront développés tour à tour, ultérieurement.

19.

LAHIRE (B.).- Tableaux de familles.- hautes études Le Seuil, 1995.