1-2 L’insuffisance du concept de transmission d’héritage culturel.

Nul ne peut ignorer que la famille est bien présente dans la vie intellectuelle de l’enfant et que l’école n’a pas l’apanage de sa construction. Les rôles des parents ont ainsi une place prépondérante dans l’évolution de ses processus d’apprentissage ; c’est une banalité de le dire. Ainsi, les théories du déterminisme social ne suffisent plus à donner des explications satisfaisantes. Dans les années 1960, les auteurs de l’ouvrage "les Héritiers" mentionnaient que "les étudiants les plus favorisés ne doivent pas seulement à leur milieu d’origine des habitudes, des entraînements et des attitudes qui les servent directement dans leurs tâches scolaires ; ils en héritent aussi des savoirs et un savoir-faire, des goûts et un "bon goût" dont la rentabilité scolaire, pour être indirecte, n’en est pas moins certaine"34 .Toutefois, leurs questions ne s’orientaient à l’époque que sur le statut socio-économique de la famille. Aujourd’hui, ce n’est plus suffisant pour élucider en quoi et comment de jeunes enfants (futurs étudiants potentiels en situation de réussite) réussissent à tirer partie de leurs divers environnements, dont la famille fait partie. Par conséquent, il est légitime de se poser la question de savoir si le concept de transmission de l’héritage du capital culturel est assez précis pour rendre compte de la situation.

Il ne suffit plus ici, car il semble seulement exprimer la passation d’un héritage ou d’un message d’un individu à un autre, sans en donner les attributs, comme si l’objet transmis restait inerte, sans aucune transformation. Dans la transmission d’un message, d’une information ou d’un héritage par exemple, il y a un transmetteur (A) ou donateur, d’un côté, et un récepteur (B) ou héritier, de l’autre. Tout se passe comme si rien n’était modifié. Ce modèle purement mathématique ou formel ne rend pas compte des qualités intrinsèques de nos deux protagonistes - dans le cas présent, le parent et l’enfant - à communiquer et de la valeur intrinsèque du message. Chacun à son historicité, ses représentations, ses attitudes, un vécu propre, qui échappent totalement à la transmission quels que soient le support ou le moyen pris. Selon l’objet qui se transmet entre individus, chacun lui attribuera une valeur par rapport à sa représentation du dit objet. C’est en ce sens que ce concept ne restitue que trop partiellement la situation. La connaissance ou, plus particulièrement, l’apprentissage de l’acte lexique n’est pas un objet neutre. Le parent, face à son enfant, va donc véhiculer, implicitement ou explicitement, un ressenti pouvant avoir des répercutions sur l’apprentissage. Dans la littérature sociologique récente, Bernard LAHIRE évoque le rôle de transmission d’héritage culturel des parents et remarque "qu’en l’absence d’un capital culturel ou en l’absence d’action expresse de transmission d’un capital culturel existant, les savoirs scolaires pouvaient tout de même être appropriés par les enfants"35. Que cela signifie-t-il ? Le discours sociologique d'un transmission d’héritage culturel semble trop superficiel et ne suffit pas à expliciter les phénomènes sociaux étudiés dans le registre scolaire. Pour comprendre réellement ce qui se passe au moment de l'interaction entre enfant et adulte, il est nécessaire de s’intéresser aux qualités de la relation. D’ailleurs, quand il s’agit de capital culturel sous-tendant l’historicité même de la personne donatrice, peut-on dire réellement qu’il se transmet ? Bernard LAHIRE conclut en disant "que la notion de transmission rend compte ainsi relativement mal du travail36, d’appropriation et de construction , effectué par l’apprenti ou l’héritier. Elle ne parvient pas non plus à indiquer la nécessaire et inévitable transformation du capital culturel dans le processus de passation d’une génération à l’autre, d’un adulte à un autre adulte, etc., sous l’effet des différences entre ceux qui sont censés « transmettre et ceux qui sont supposés recevoir"37.

Notes
34.

BOURDIEU,(P.) , PASSERON, (J.C.) .- Les Héritiers, les étudiants et la culture.- Les Editions de minuit, 1979, page 30.

35.

page 14.

36.

En italique dans le texte.

37.

LAHIRE (B)..- Tableaux de Familles.- Hautes études, Gallimard, Le SEUIL, page 277.