1-3 Vers une évolution obligée de conceptualisation.

Nous pensons, comme Françoise SUBLET(1993) que «l’élaboration des pratiques et savoirs sur la lecture-écriture est pleinement socialisée. Dans des relations diverses (duelles, groupales ou réticulaires, institutionnelles) les enfants apprennent progressivement à comprendre les fonctions de l’écrit, les valeurs qui leur sont diversement attribuées, leur place parmi d’autres objets médiateurs dans les relations sociales, les enfants se voyant reconnus, différemment selon le contexte, de par leurs propres positions vis à vis de l’écrit»38 . C’est ainsi que l’on peut dire que les parents se retrouvent être les premiers médiateurs du langage écrit. Ils ne sont donc pas des transmetteurs. De la même manière qu'ils développent des attitudes et des habitudes linguistiques (c’est en cela qu’ils sont médiateurs des structures orales de leur langue), ils vont devenir médiateurs d’écrits, parce qu’eux-mêmes en véhiculent toutes sortes en fonction d’intérêts divers. Les factures, les lettres, les publicités, les marquages quelconques, les livres, les annuaires, etc. dévoilent autant de possibilités et de façons de lire (FOUCAMBERT, 1976 ; CHARMEUX, 1987) ; on ne lit pas une recette de cuisine comme on lit la «Critique de la Raison Pure» de KANT. En d’autres termes, ils ne développent pas les mêmes compétences et les mêmes attitudes lectorales en fonction des écrits présents dans le foyer, de leurs aspirations et de leur culture, ou même simplement de l’intérêt qu’il porte à l’acte lexique. Par conséquent, les parents vont inciter explicitement ou implicitement, ou rester complètement neutres dans la présentation de ce nouveau mode de communication avec autrui. Leurs attitudes face à la lecture, leurs pratiques et les réponses qu’ils donnent à leurs enfants concernant l’acte lexique, sont autant d’éléments médiatisant la relation que l’écolier tisse ou tissera avec l’écrit.Si l’école, pendant longtemps, avait pour mission de réduire les inégalités sociales par l’appropriation du savoir, on peut comprendre que l’on parle de transmission d’héritage culturel. Est-ce vraiment son but aujourd’hui ? Les nouvelles instructions officielles concernant l’école primaire ne mettent plus seulement l’accent sur cet aspect mais plutôt sur le fait que les enfants doivent acquérir des connaissances pour mieux comprendre le monde qui les entoure. Aujourd'hui, la recherche d’égalité sociale, qui pouvait passer aux yeux de certains comme une sorte de nivellement, est dépassé ; nous sommes à l’heure de la différenciation cognitive, passant par le projet individuel de l’enfant, du jeune, ou de l’adulte qui se construit dans et par sa famille, même si elle n’est pas l’unique contexte 39 de référence l’aidant à s’approprier le monde. Comme le souligne C. BARRE de MINIAC, "il y a tout lieu de penser que les conventions sociales relatives à l’usage de l’écriture font l’objet d’une transmission particulière dans le milieu familial"40 .La société, dans son contexte socio-historique, sort du rapport d'autorité, dont la transmission des valeurs, des savoirs et des savoir-faire était l'un des vecteurs, pour pénétrer dans celui d'une relation originale nommée médiation cognitive.

Ce concept de médiation renvoie ici à une acception circonscrite dans le champ particulier que l’on pourrait qualifier de socio-constructiviste. "Le bon éducateur, pourrait-on dire, est celui qui permet à l’enfant de se "détacher" de lui pour développer son propre itinéraire, ses espaces de liberté, de plaisir ou de travail, en fonction des contraintes et des opportunités caractéristiques de la vie quotidienne. Ce détachement fonctionnel n’exclut pas le maintien d’affection, ni même l’expression de demandes d’aides, mais les nouvelles relations seront fondées sur l’interdépendance articulée, qui implique à la fois différenciations et points communs"41.

Notes
38.

SUBLET (F).- Des lettres modernes aux sciences du langages et de l’éducation.- in Perspectives en Education, N°29, 1993, pages 42-54.

39.

TEBEROSSKY (A).- Les savoirs préalables de l’enfant sur l’écrit. Une expérience d’enseignement apprentissage.- LYON: Voies Livres, 1989, page 7.

40.

BARRE de MINIAC (C.).- Genèse du rapport à l’écriture.- Voies livres, pratiques et apprentissages de l’écrit, page 7, Lyon 1995. C’est nous qui avons souligné le mot particulière.

41.

PRETEUR (Y), De LEONARDIS (M) .- Education Familiale, image de soi et compétences sociales.- Pédagogies en développement (Recueils), DE BOECK Université, Bruxelles, 1995.