Chapitre 2. Sortir de la logique du don.

Un certain nombre d'auteurs orientent le débat de la difficulté ou de la réussite scolaire dans le champ culturel. Ils défendent la thèse de la transmission de l'héritage culturel. Mais, il existe une autre transmission qui, à lire certains comptes-rendus scientifiques, où à entendre certaines réflexions à bâtons rompus de l'expression populaire, risquerait, à notre sens, de nuire au questionnement de l'intelligence et à sa capacité de modifiabilité des structures cognitives 50 . Le débat d'une possible transmission génétique de l'intelligence ou du don refait surface. Si on ne prend pas garde de s'entourer de garanties suffisamment crédibles, on sait, sans ignorer les apports considérables de l'évolution de la science dans ce domaine particulier, où peuvent conduire ces données. Par exemple, Charles. B DAVENPORT, biologiste et eugéniste du début du XXème, pense que " les groupes sociaux à bas revenus ne sont pas pauvres en raison d'une inégalité de chance face à l'éducation et au pouvoir économique mais à cause de mauvaises dispositions morales et éducatives dues à leurs carences biologiques"51.L'humanité sait malheureusement où ce genre de système de pensée l'a conduite. Des politiques sociales à l'égard de telle ou telle population ou ethnie ont déjà, dans un passé proche ou lointain, montré leurs limites. Sans réserve, et sans garanties épistémologiques de ce champ scientifique sensible, tant au niveau de la science qu'au niveau social, elles peuvent mener au pire. Que veulent dire, aussi, les expressions courantes que l'on entend souvent dans les réunions d'enseignants : "il n'a pas les capacités", "les chiens ne font pas des chats" ou encore "cette enfant n'ira pas loin, elle n'est pas intelligente", "j'ai bien connu le père, son fils lui ressemble, c'est normal qu'il soit échec", "Lucie est douée pour la dictée" ? Que cela signifie-t-il ? Font-ils référence à la culture familiale ou à l'apport génétique qui doterait, naturellement, plus ou moins bien, tel ou tel enfant. Tous ces mots, dits sous le couvert d'une certaine autorité compétente, figent la représentation que l'on peut avoir de l'enfant - être, par essence, en devenir - en lui collant une étiquette sociale, psychologique, et cognitive définitive pouvant l'empêcher à terme d'évoluer. On sait que l'enseignant se construit implicitement une représentation de ses élèves, influencée par des facteurs inhérents à la représentation cognitive et socioculturelle qu'il s'en fait (ROSENTHAL R., JACOBSON L. 1972 ; MARC P. 1983). Cependant, ces mots lâchés, sans questionnement critique sur leur valeur épistémologique, peuvent supposer, parfois à leur insu, sans qu'ils comprennent les conséquences pédagogiques à court terme et socio-politique à long terme, une assise ancrée dans une discrimination plutôt génétique. Même certains parents évoquent la difficulté rencontrée par leur enfant sous ce même registre ; madame Ville 52 dira, par exemple, que la dyslexie de sa fille est héréditaire puisque qu'elle-même l'était. On retrouvera le même diagnostic chez madame Paris 53 qui imputera la difficulté d'apprentissage de la lecture à un manque génétique venant cette fois-ci de son mari. Ces deux mères ont déclaré de façon explicite leur attachement à cette explication. D'autres (N°28, N°19) l'ont évoquée en nuançant davantage leurs propos. On fait comme si l'origine biologique de l'enfant était en soi la cause de ses difficultés. En banalisant trop rapidement ce type de discours aussi bien du côté des enseignants que des parents, le risque est grand de voir se minimiser la portée des médiations pédagogiques. Les argumentations qui sous-tendent de tels propos permettent aux uns et autres de se réfugier derrière l'impossibilité, pour tel ou tel enfant, d’accéder à un savoir quel qu'il soit. En connaissant, depuis ces dernières années, la formidable avancée de la génétique, entre autres, par la thérapie génique et la clarification de plus en plus précise d'un génome humain, est-elle pour autant une réponse solide aux difficultés cognitives que rencontrent certains ? Avant d'esquisser des pistes de réflexion à une telle interrogation, il est nécessaire dès à présent de convoquer des auteurs qui s'interrogent sur une possible action de l'innéité de l'individu. Autrement dit, la part de la transmission génétique est-elle une réponse sans ambiguïté à la question de l'apprentissage en général et l'appropriation de l'acte lexique plus particulièrement ?

Notes
50.

FEURSTEIN (R.) .- Le P.E.I. Programme d'Enrichissement Instrumentale .- in Pédagogie de la médiation, Chronique Sociale, 2éme édition, pages 138 à 150.

51.

KEVLES (B.H.) et (D.J.) .- La biologie des boucs émissaires, la clé de la violence ne se trouvent pas dans les laboratoires.- in La Recherche.- Sommes nous pilotés par nos gènes? .- N°311, août 1998, page 58-63.

52.

Entretien N° 26 Voir analyse dans la quatrième partie

53.

Entretien N° 27 Voir analyse dans la quatrième partie