3-1-2 Une compréhension du concept de représentation.

Si MOSCOVICI considère les représentations sociales d'un objet - au sens sociologique du terme - "comme l'organisation durable de perceptions et de connaissances relatives à un certain aspect du monde de l'individu ", il y a, néanmoins, dans le contexte de cette recherche, des modifications du champ de la représentation du sujet. On dépasse l'univers des opinions et des croyances décrit par KAES (1972), pour se mettre à l'évidence que "la représentation est une modalité de connaissances particulières, expression spécifique d'une pensée sociale" (HERZLICH, 1972) qui s'inscrit dans une chronologie de l'histoire de l'homme et des espaces sociaux déterminés que sont l'école ou la famille.

Cela dit, ce concept de "représentation" désigne sous la forme "se représenter", la faculté qu'a un individu de désigner, évoquer, exprimer une abstraction par un symbole. D'emblée, est exclue ici la définition physique, qui n'a pas d'intérêt pour notre propos.

L'apprentissage de la lecture peut être considéré comme objet ou phénomène culturel, comme construction, qui emprunte à la fois à des éléments de réalité mais aussi à des éléments symboliques, liés d'une part, à notre perception 93 de cette réalité et d'autre part à nos pratiques culturelles. En d'autres termes, le langage écrit reflète une réalité physique, dans la mesure où il est matérialisé par une trace sur des supports spécifiques (livres, affiches, documents quelconques, bandes annonces en T.V. ou film etc.). Mais, il fait partie également de la symbolique car il renvoie l'individu, en contact avec sa réalité à un imaginaire qu'il se construit en fonction de son histoire et de la manière dont il perçoit cette réalité. C'est pourquoi l'individu élabore une partie de sa représentation de l'apprentissage de la lecture en lien avec sa propre pratique culturelle.

Les études sur la perception, quant à elles, montrent que percevoir la réalité, ce n'est pas seulement recevoir mais également comprendre. Ce besoin de compréhension d'un phénomène est donc fortement lié à l'importance de la représentation que chacun lui accorde en fonction de sa culture. Comme l'affirme BAHLOUL (1988), "la lecture n'est pas un acte de pure intimité ou de retranchement individualiste à l'écart du monde et de la société. C'est un acte social complexe, un acte partagé où chaque lecteur se distingue ou s'identifie à d'autres groupes de lecteurs en fonction de ses goûts qui n'ont rien de spontané ou naturel. Ces derniers sont la manière de l'individu d'exister culturellement. Ils sont également une manière particulière de remplir des obligations culturelles, d'autant plus pressantes que l'on appartient à, ou que l'on aspire à faire partie de la classe dominante dont la culture est un des attributs"94. On perçoit ainsi mieux la nécessité d'aller au-delà de la simple perception du phénomène ou de l'objet, pour en saisir une signification intelligible. L'objet perçu (apprentissage de la lecture) aura ainsi, de par sa parenté avec la lecture, une impression significative à travers notre mode de pensée ; il est tributaire de notre culture, de notre histoire personnelle. Ainsi, une distanciation s'opérera entre l'objet réel et l'objet perçu par notre prisme culturel.

De plus, la représentation est à considérer comme un intermédiaire entre l'objet de connaissance extérieur et l'univers mental d'un individu se référent à ce qu'il considère comme réel. Il y aura donc, dans l'absolu, autant de représentations sociales de l'apprentissage de la lecture qu'il existe d'individus. Ainsi, le registre des opinions échappe à l'examen critique, pour se transformer en croyances ou assentiments qui, d'une part, peuvent comporter des degrés allant de la simple impression à la certitude et qui, d'autre part, portent sur la réalité ou la vérité d'une chose, selon une plus ou moins grande probabilité. Pour MOSCOVICI 95 , la représentation est un processus de médiation entre le concept et la perception, qui peut s'assimiler dans le cas présent à une opinion ou une croyance. Il s'agit d'une construction cognitive, régie par les lois de la perception et non de la raison, dont on sait, depuis les analyses de G. BACHELARD 96 , que l'esprit scientifique doit leur dire "non". On comprend ce dernier auteur dans la mesure où l'opinion n'est pas suffisante pour obtenir une bonne compréhension des phénomènes. Il s'agit de parler d'une transformation de la réalité et non de la réalité en elle-même, la représentation faisant en quelque sorte écran entre le sujet et l'objet. Nous percevons ainsi la réalité ou plutôt "nous sélectionnons dans la réalité ce qui est conforme à notre système de valeurs, à nos intérêts du moment, aux normes de notre groupe d'appartenance ou de référence"97. Dans ce sens, la représentation est une forme de connaissance de la réalité, par le truchement de laquelle celui qui connaît se replace dans ce qu'il connaît. Elle est alors définie par un univers de croyances et d'opinions dont PASCAL disait déjà au XVIIéme, qu'elles sont "reines du monde" et font surtout "force et loi".

A notre sens, la représentation de l'apprentissage de la lecture est tributaire à la fois des perceptions, des systèmes de valeurs et des habitudes culturelles ; la raison et la compréhension ne sont peut-être pas toujours à l'œuvre. Notre travail consistera donc à établir une certaine intelligibilité entre ses différentes manières de penser ce phénomène.

Notes
93.

STOETZEL (J.).- La Psychologie Sociale.-Flammarion1963,chapitre VII notamment.

94.

BAHLOUL ( J.) .-" Les faibles lecteurs, pratiques et représentations".- in: Pour une sociologie de la lecture: lecture et lecteur dans la France contemporaine. Paris; Editions du cercle de la librairie, 1988 pages 103 à 124.

95.

MOSCOVICI ( S.).- La Psychanalyse, son image et son public.- PUF, 1961, Chapitre 1.

96.

BACHELARD (G.).- Formation de l'esprit Scientifique.-Librairie philosophique, 1980 11éme Edit.

97.

LE BOUEDEC ( G.).- Contribution à la méthodologie d'étude des représentations sociales.- U.C. de Louvain ,Thèse 1979.