3-1-3 Un concept médiateur de la représentation sociale : l'attitude.

L'existence de représentations ne nie pas celle d'une réalité ; cependant, elle montre un lien entre cette réalité et l'individu qui la perçoit. Ainsi, les représentations sociales de notre objet de recherche vont induire des attitudes chez le parent. Elles pourront être considérées comme les révélateurs des représentations, des signes dont il faudra, après analyse, tirer du sens car il va de soi qu'il est impossible d'accéder directement à l'univers des représentations des parents. Ce nouveau concept d'attitude est en fait le relais matérialisant ou formalisant la représentation. Pour le définir, le Petit Robert désigne par attitude, "la disposition à l'égard de quelqu'un ou de quelque chose, mais également l'ensemble des jugements et tendances qui pousse à un comportement". Cette définition renvoie donc à deux schèmes distincts et complémentaires, d'une part une prise de position à l'égard d'un problème et, d'autre part, un comportement, une conduite qui en découle.

Dégageant trois fonctions principales de l'attitude, J. MAISONNEUVE (1973) montre que, dans son aspect cognitif, cette notion est liée au champ des représentations par le biais des "stéréotypes et des opinions". L. BARDIN (1991), quant à elle, précise "qu'un stéréotype est l'idée que l'on se fait de...., c'est la représentation d'un objet ( choses, gens, idées ) plus ou moins détachée de la réalité objective, partagée par les membres d'un groupe social avec une certaine stabilité"98. Pour STOETZEL (1963), "l'attitude désigne la manière dont une personne se situe par rapport à des objets"99. Elle apparaît donc comme fondamentale pour expliquer les relations de l'individu devant des stimulations sociales, elle représente des dispositions mentales explicatives du comportement. Pour compléter cette approche théorique, J.MAISONNEUVE indique des éléments qui la caractérisent : "L'attitude consiste en une prise de position (plus ou moins cristallisée) d'un agent (individu ou collectif) envers un objet (personne, groupe, situation valeur...) elle s'exprime plus ou moins ouvertement à travers divers symptômes ou indicateurs (paroles, ton, geste, actes, choix ou leur absence). Elle permet de comprendre une action en saisissant le schème structurel qui relie ses différentes phases... Ces propriétés rapprochent ces phénomènes mentaux des comportements dont ils sont l'anticipation plus ou moins conscientes"100.

Partant de ces propriétés, des constantes peuvent être dégagées. L'attitude est acquise et non innée, donc plus ou moins durable ; elle est susceptible de se modifier et, par conséquent, d'avoir une influence sur des changements possibles; elle maintient également une relation privilégiée du sujet avec l'objet. Cette relation, qualifiée de "polarité affective", provoque des prises de position "entre le pour et le contre" avec parfois "l'éventualité d'ambivalence" 101 . Enfin, elle exerce une fonction à la fois cognitive, énergétique et régulatrice sur les conduites qu'elle sous-tend et dont l'auteur décrit les contours. La fonction tonique ou énergétique se combine à la fonction cognitive. "Elle s'étaye sur les motivations et se cristallise socialement dans le système de valeurs" 102 La fonction régulatrice se relie étroitement au caractère unifiant des attitudes... L'attitude apparaît partout comme une sorte de réaction secondaire, ayant pour fonction d'orienter (par anticipation ou compensation) le comportement de l'individu 103 . Enfin, la fonction cognitive 104 , quant à elle, guide "les processus d'estimation, de jugements de reconnaissance concernant les données perçues (expliquant) à la fois, la sélectivité, la distorsion, et la stéréotypie".

Le tableau synoptique ci-après illustre à sa façon la liaison entre représentations et attitudes. Il éclaire ainsi les deux façons d'appréhender les attitudes et permet, dès à présent, de choisir l'un de ses deux registres. Dans un premier temps, pour mettre à jour, autant que faire se peut, les représentations familiales de l'apprentissage de la lecture, la méthodologie s'oriente du côté du discours et des prises de positions des parents 105 . Ainsi, la saisie de leurs attitudes a permis de relever des indices qui laissent entr'apercevoir leurs représentations. C'est bien à partir de ces dernières qu'ils se positionnent et se comportent par rapport à l'apprentissage de la lecture. La prise de position stigmatise, en quelque sorte, leur attitude, et constitue l'ensemble de l'opinion porté par leur discours 106 . Ce n'est que dans un deuxième temps qu'il sera possible de voir en quoi et comment l'attitude est médiatisée, par ce que les parents disent de ce qu'ils font. Alors, Il faudra questionner les faits et s'interroger sur leurs portées.

Visualisation de la relation représentations et attitudes
Visualisation de la relation représentations et attitudes

Les concepts "d'attitude" et "de représentation" sont ainsi dépendants l'un de l'autre puisque le premier est l'expression formalisée du second. Le parent ou "L'adulte-référent-responsable" qui agit, peut être considéré comme un sujet animé par un système de représentations ; la lecture, à ce titre, peut en faire partie. Il se construit sa propre vision du monde, qui deviendra en quelque sorte le spectre plus ou moins évolutif au travers duquel toute chose prendra du sens. Cette construction déterminera ses échanges avec l'enfant et avec les objets qui graviteront autour de lui. Avec les représentations, ce ne sont plus les caractéristiques même de l'apprentissage de la lecture qui sont déterminantes, mais c'est le système de représentations qui lui donne un statut particulier. Cette représentation désigne une double réalité. D'une part, la lecture et notamment son apprentissage peuvent être considérés comme un contenu, un produit, à savoir l'univers représentationnel auquel le parent fait référence, l'orientation affective vis à vis de celui-ci. D'autre part, cet "adulte-référent-responsable" se construit implicitement des processus d'élaboration et de ré-élaboration permanente de cet univers. Ceux-ci ne sont pas une sorte de négatif de la réalité, mais une construction obéissant à des règles particulières. En d'autres termes, la représentation de l'apprentissage de la lecture n'est pas stabilisée une fois pour toutes ; elle se transforme dans le jeu des interactions et du renouvellement de la connaissance du parent. En conséquence, cette remarque rejette la définition que donne MOSCOVICI de la représentation comme un phénomène durable, puisqu'il y a évolution de la pensée sociale sur le sujet. Cependant, tout en prenant conscience de la mouvance de la représentation de l'apprentissage, l'étude citée s'est limitée à une description et à une compréhension synchronique des représentations et des attitudes, sans faire référence à une mise en perspective diachronique des sujets interrogés.

Les différentes fonctions décrites par MAISONNEUVE ont, toutefois, été retenues. Elles ont servi à opérationaliser le concept d'attitude car elles ont la prétention d'appréhender efficacement la réalité des familles par rapport à l'apprentissage de la lecture. Les paroles, à travers le discours des parents interviewés, les choix qu'ils opèrent ainsi que leur participation à la recherche ont été autant d'éléments essentiels qui ont dévoilé, pour une large part, leurs attitudes vis à vis de l'apprentissage de la lecture. Ces différents items, précisés ultérieurement, conviennent à l'objet de l'étude dans la mesure où chaque individu a une représentation des objets ou des phénomènes qui l'entourent, comme cela a été explicité précédemment. Or, la lecture ainsi que son apprentissage, étant issus tous deux de notre société, peuvent être rangés parmi ces objets ou ces phénomènes et, en conséquence, être sujets à des représentations médiatisées par différentes attitudes adoptées par les parents.

Puisque chacun construit ses propres règles vis à vis de son propre champ représentationnel de l'apprentissage de la lecture, il a été possible d'élaborer une typologie respectant et illustrant des régularités dans les représentations parentales. En d'autres termes, des constances dans les règles que chacun se donne "vis à vis " de son champ repésentationnel de l'apprentissage de la lecture sont décelables.

Notes
98.

BARDIN ( L.),.- L'analyse de contenu,.- PUF, 6ème Edition, Avril 1991, page 55.

99.

STOEZEL (J. ), .- La Psychologie Sociale.-Edition Flammarion, 1963, chapitre VII notamment.

100.

MAISONNEUVE (J.), .- Introduction à la psychologie.- PUF, 3ème Edition, 1973, page 107.

101.

Op. Cit. page 108.

102.

Op. Cit. page 110.

103.

Op. Cit. page 110.

104.

Op. Cit. page 109.

105.

Cette recherche qualitative s'est effectuée auprès de 15 familles choisie au hasard dont les enfants étaient à l'époque en G.S.

106.

Cela n'est pas suffisant dans la mesure où le discours général sur l'objet de la recherche n'apportera pas forcément d'indicateurs précis. Nous préciserons ces items dans le tableau indicateur des différentes tendances typologiques trouvées. Ils donneront sens à l'attitude dévoilée qui sera le reflet de leurs représentations mises en parole.