4-1 Apprentissage ou et enseignement ?

Si les définitions de la lecture restent, malgré leurs contradictions, faciles à circonscrire, le concept d'apprentissage de l’acte lexique est, quant à lui, difficile à cerner tant il existe un nombre considérable de méthodes d’apprentissage ( techniques diverses, livres, fichiers, logiciels etc.) qui sous-tendent chacune des théories implicites ou explicites 124 . Bien que l'apprentissage de la lecture reste circonscrit à quelques principes 125 théoriques fondateurs, on pourrait presque dire qu'au nombre d'instituteurs ou de professeurs des écoles enseignant en C.P. correspond le même nombre de méthodes ou de techniques. Rien que pour cette recherche, sur les 13 enseignants rencontrés, 7 méthodes ont été répertoriées 126 . Vouloir faire un catalogue exhaustif serait d'une part fastidieux et risquerait à tort de nous éloigner de la recherche - des précisions abordant les grandes familles d’apprentissage de la lecture sont abordées dans le prochain chapitre -. N’y a-t-il pas d’ailleurs un risque de collusion à véhiculer sans cesse les termes de méthode et d’apprentissage dans l’expression courante "méthode d’apprentissage de la lecture" 127 entraînant souvent la confusion de la signification des termes et la distribution de bonnes et de mauvaises notes à telle ou telle méthode ? Cela se passe comme si les acteurs mêmes de l’apprentissage s’effaçaient au profit de la méthode. N’est-on pas en train de les confondre à tel point de les prendre l’un pour l’autre ? Qui apprend ? Le maître ? L’enfant ? Qui fait apprendre ? Le maître ou la méthode ?. Quand les professionnels sont confrontés à une difficulté d’apprentissage chez l’apprenant, il leur arrive même parfois de dire "cet enfant manque de méthode" lui ajoutant un sens nouveau, d’où la confusion entre les termes méthode et technique d'une part, apprentissage et enseignement d'autre part.

Apprendre, c'est se donner les moyens à soi ou pour autrui, en vue d’obtenir ou de faire obtenir des connaissances ou un savoir-faire. On perçoit déjà la double signification de ce mot. Autrement dit, lorsque l'on se donne les moyens pour apprendre pour soi, il y a bien présence d'apprentissage. Lorsqu’un intervenant extérieur propose des moyens à l’apprenant, il y a enseignement de sa part. S’éloignant ainsi du champ des moyens mis en œuvre (méthodes) cette définition, sommaire et incomplète pour le moment, a le mérite de soulever l’ambiguïté du mot. Le télescopage volontaire et délibéré des deux concepts "l'apprentissage/enseignement" permet de mettre en perspective les données de notre questionnement entre le parent, l’enfant et l’apprentissage de l’acte lexique. Cette tripolarité prend en compte les données de l’apprentissage et également celles de la relation éducative et pédagogique (POSTIC, 1994) que l’on retrouve dans l’enseignement. En ce sens, quel que soit le degré d'implication - du retrait à la participation effective - par rapport à "l'apprentissage/enseignement" de la lecture, le parent, même en retrait, est acteur ; ne pas vouloir communiquer, c'est tout de même communiquer (Watzlawick, 1972).

Maintenant, un petit détours par la langue française permet de mieux saisir d’où viennent ces ambiguïtés lexicales. Les deux verbes issus de ces mots, apprendre et enseigner, ont deux significations distinctes, bien que le langage commun en fasse la confusion. Le premier "Apprendre" signifie que l'individu acquiert des connaissances qu'il ne possédait pas. Le second "enseigner" signifie montrer quelque chose à quelqu'un, comme peut le faire "l'enseigne" du magasin, donnant ainsi un sens sociolinguistique à l'espace de ce dernier. "En français, le mot apprendre signifie à la fois s'instruire (learning, lernen) et instruire (teaching, lehren) ; on apprend l'algèbre, on apprend l'algèbre à quelqu'un. L'ambiguïté est par la même significative. En effet, il n'y a peut-être pas d'opposition absolue entre celui qui instruit et celui qui s'instruit ; parfois c'est le même homme."128 Cependant, dans cette remarque d'Olivier REBOUL, on perçoit que le verbe apprendre peut avoir la même acception qu'enseigner, d'où une certaine confusion. Il est nécessaire de revenir à une définition stricte de ces mots, souvent pris l'un pour l'autre. "Le maître enseigne, l'enfant apprend. Mais l'apprentissage n'est pas le résultat systématique de l'enseignement. Il peut y avoir apprentissage sans enseignement, par exemple dans les familles où l'enfant s'imprègne des us et coutumes de son milieu sans qu'il y ait la volonté délibérée de la part des parents d'inculquer tel ou tel savoir "129. Par extension, le concept "d'apprentissage de l’acte lexique" signifie que c'est "l'apprenant" qui s'approprie le code de la langue écrite. Cela signifie qu'il existe une tierce personne, qui montre le fonctionnement du code de la langue écrite. Le premier terme, apprentissage, met l'apprenant seul face à l'objet de connaissance. Dans le second, enseignement, l'objet de connaissance est montré par une personne "experte" à un débutant, sans que l’on sache avec précision la qualité même de la démonstration ; on sait ce qui est enseigné, mais on ne connaît pas la manière dont la dite connaissance est présentée. Ces deux concepts ne sont pas en contradiction mais n’offrent pas suffisamment de garanties quant à leur définition. Que comprend-on lorsque l’on parle d’apprentissage ou d’enseignement ? S’agit-il uniquement d’une relation au savoir que l’apprenant tisse ? Cette relation au savoir passe-t-elle par l’adulte ou par le pair, "expert" de la dite connaissance ?

Notes
124.

LEBRUN (C.), professeur d'un C.F.P.P. (Centre de formation Pédagogique Privé) relève 15 méthodes entre 1962 et 1988 et en fait l'analyse des démarche méthodologiques. On y trouve des démarches allant de la méthode mixte (MICO le petit ours) à méthode idéo visuelle (la sorcière et moi) en passant pas la méthode visua-phonotico-analytico-synthétique le sablier.. in "Voyage au pays de la lecture", Bulletin de l'association des formateurs en CFP INFOREC N°3, ANCFP, 277, rue Saint Jacques 75005 Paris

125.

Voir dans le prochain chapitre.

126.

Cf. chapitre 10 : Enseignantes : méthodes d'apprentissage de la lecture et expérience de la rencontre des parents.

127.

Des auteurs poussent la définition de leur méthode un peu plus loin. Par exemple, la méthode MIKA est intitulée « Méthode Interactive d’apprentissage de la lecture » signifiant que la méthode met en en relation l’enfant et le livre ou l’acte lexique.

128.

REBOUL (O.).- Qu'est ce qu'apprendre.- Paris, PUF L'éducateur, 1980, page 9.

129.

GILABERT (H.).- Apprendre à lire en maternelle.- E.S.F., Paris 1992, page 44.