4-2 Vers une définition sociale de l’apprentissage.

Quand H. BASSIS (1988) intitule l’un de ses livres "Je cherche, donc j’apprends", il inscrit d’emblée l’apprentissage dans un processus de recherche. L’acteur d’une quelconque recherche se pose d’abord un problème particulier sous-tendu par une question implicite ou explicite ; il a, par conséquent, un projet de réponses ou tout du moins une élaboration d’idées pour tenter des réponses possibles. Pour reprendre les termes de la gestion mentale, il a un projet de sens. Il se construit intrinsèquement un projet de sens, donnant sens à la recherche qu’il entreprend tout en construisant sa personnalité. "Il y a un va et vient permanent entre moi qui cherche et moi dans quoi je cherche"130. Apprendre, c’est donc pour l’individu, s’inscrire dans un projet de sens, qui par essence, le motive cognitivement et affectivement.

On est, ici, loin du béhaviorisme où l’individu répond à des stimuli engrangés dans sa mémoire de façon stéréotypée, sans conscience 131 . L’apprentissage spécifique de l’acte lexique ne peut se satisfaire de ce modèle. Autrefois, les bonbons ou les bons points étaient toujours donnés aux meilleurs de la classe qui réussissaient plus que les autres. Ils n’ont que rarement stimulé les derniers qui auraient bien aimé goûter aux fruits de la réussite. Dans de telles pratiques, c’est l’environnement extérieur de l’enfant qui exerce une autorité conditionnant l’apprenant à un mode particulier d’appropriation, sans obligatoirement faire appel à la conscientisation des gestes d’apprentissage. L’adulte montre le modèle et l’apprenant, par mimétisme et entraînement, exécute le bon geste. Il ne s’agit pas de rejeter tous les points de ce modèle. Le pianiste ou le musicien en général, lorsqu'ils jouent leurs gammes plusieurs heures par jour, enregistrent des automatismes. Le pilote de Formule 1, s’entraînant à piloter le plus rapidement possible sa machine sur les boucles infernales d’un circuit, conduit pour acquérir des automatismes. Tricoter des gammes ou boucler des virages des heures durant ne suffisent pas pour devenir virtuose ou champion en Formule 1. Ces personnes se conditionnent volontairement pour arriver à un niveau de compétences. Toutes leurs capacités musculaires, neurologiques, musicales, mécaniques, physiques sont, bien sûr, le fruit d’un conditionnement. Mais il est pour servir un projet particulier, faisant sens pour l’individu qui y consacre du temps. Le seul réflexe du chien de PAVLOV est de manger lorsqu’il entend la petite clochette ; il ne peut pas se poser la question du pourquoi mange-t-il ? Il est mû seulement par un automatisme physico-biologique.

Le jeune apprenti lecteur, à qui on apprend inlassablement que le côtoiement des lettres P et A font le son /Pa/, est également dans un registre de conditionnement linguistique. Tout cela n’est pas suffisant à l’apprentissage de l’acte lexique. La seule possession d’un tel savoir-faire - déchiffrage syllabique - pourtant nécessaire, ne suffit pas à connaître l’acte lexique. Dans ce sens, on ne peut se satisfaire de la définition que WINNYKAMMEN donne de l’apprentissage. Pour elle"il ne serait pas autre chose que cet affinement progressif des actions du sujet par leurs conséquences(...) Apprendre, c’est apprendre à fournir des réponses d’un type donné, et modifier ou au contraire consolider l’activité des réponses en fonction des conséquences qu’elle provoque dans le milieu"132. Dans ces termes, on ne retrouve pas l’explication des enrichissements permanents qu’apportent les nouvelles connaissances aux anciennes.

En d’autres termes, l’individu ne réagirait non pas en réfléchissant et en interconnectant des nouvelles données aux anciennes mais plutôt adapterait ses comportements cognitifs en fonction des indices qu’il percevrait de son environnement. C’est le sac de billes qu’on remplit - les billes étant assimilées aux connaissances - sans se préoccuper de l’organisation même des billes à l’intérieur même du sac. Et qui est ce "on", dans la formule "on remplit"? Quel lien social, psychologique, affectif, institutionnel tisse-t-il avec ce personnage indéfini ? L’enfant débutant lecteur affine dans la durée sa compétence et son appétence lectorale en fonction des attentes du milieu. Cependant, les enfants réussissant n’ont pas été seulement réceptacle passif de connaissances répondant à des stimuli. Bien sûr, ils n’ont pas été insensibles aux encouragements ; bien sûr ils ont corrigé leurs erreurs. Mais ils ont été d’actifs penseurs, admettant la correction de leurs erreurs chemin faisant. On ne peut nier que l’enfant apprenne par imitation ou pour faire plaisir à un proche aimé. Son projet sera alors de ressembler à un modèle apprécié ou d’offrir en cadeau à la personne aimée son savoir-faire. On est proche du modèle béhavioriste, à ceci près qu’il y a une tierce personne qui joue quelque part un rôle particulier dans l’acquisition des nouveaux apprentissages. Ce courant (WATSON, 1917) basé sur la réception de stimuli et la quête de réponses conditionnées, a le mérite de poser diffusément le fait que l’apprenant est assujetti à un environnement exogène ordonnant le jeux des stimuli-réponses, organisant les stratégies d’apprentissages. Formalisé ainsi, tout en évoquant le rôle de l’extériorité, ce modèle n’est pas fiable dans sa totalité car il assimile l’adulte - le parent, le professeur, le maître, le pair - comme un dispensateur de savoir. Il ne semble pas y a voir une once d’interactivité entre le "maître" et l’élève. Dans l’apprentissage de l’acte lexique, il y a d’autres enjeux et on ne peut se satisfaire des versants comportementalistes et quantitativistes, qui ne tiennent pas compte du fait qu’il peut se passer autre chose, dans le cerveau de l’enfant, que des automatismes régis par les interactions stéréotypées avec le milieu.

Notes
130.

BASSIS .- Je cherche, donc j'apprends.- page 151

131.

Piéron (1881-1964) Psychologue déclare "il est possible autant que nécessaire, non point de nier, mais d'ignorer la conscience dans ces recherches évolutives sur le psychisme des organismes ". Il rejette ainsi les phénomène de conscience se fondant uniquement sur l'observation des réactions d'un organisme à son milieu. In "Histoire de la psychologie" REUCHLIN (M.) P.U.F. page 27, 1984.

132.

WINNYKAMMEN (1982) in AUMONT (B), MESNIER (P.M.) .- L'acte d'apprendre.- PUF, 1992, page 24.