6-3 Là où une coexistence médiatrice apparaît comme incontournable.

Si cette étude présente un intérêt pour la remédiation pédagogique vis à vis d’un enfant qui aurait fait fausse route dans sa représentation de l’acte lexique, elle en présente un aussi pour cette recherche. En effet, sachant que l’enfant ne se contente pas de vivre sa scolarité préélémentaire mais qu’il s’en construit progressivement une image façonnée par diverses influences, dont celles du milieu scolaire et également de son milieu familial (LURCAT, 1976), elle montre aussi que l’enfant élabore son propre système de représentations de l’objet "lire-écrire" bien avant le C.P. Il ne se les construit pas tout seul ; ce sont bien les liens d’interdépendance de coexistence (LAHIRE, 1995) qui le font évoluer vers une conscience du monde et des apprentissages qu’il sous-tend ; là, la famille, dans son sens le plus large, a toute sa place. Elle est présente depuis le début et, par ce fait, incontournable. Nous savons, par les recherches de SONG et HATTIES (1984) que "les caractéristiques psychologiques familiales (encouragements, activités pédagogiques dans la famille, intérêts pédagogiques, évaluations parentales des qualités dans la famille, sanctions dans les récompenses et punitions) influencent directement l’image de soi et indirectement la performance scolaire"219. On est bien loin du statut de l’enfant pensé comme investissement économique, que des générations antérieures ont connu. Son épanouissement et la construction de l’image de soi (PIERREHUMBERT, 1998) deviennent aujourd’hui la tâche centrale pour les parents, qui se dotent implicitement ou explicitement de moyens spécifiques (facilitateurs ou réducteurs à cet épanouissement) en fonction de leur culture et de leurs intentions. R MEYER, réaffirme dans une perspective proche de la nôtre, c’est à dire constructiviste, cognitiviste et phénoménologique que l’image de soi "ensemble de savoirs sur soi à valence positive ou négative, est le résultat d’une construction psychique et produit d’une activité cognitive. Ces savoirs sont alimentés par les informations provenant des milieux de vie (familiaux et scolaires) sous la forme de jugement auxquels l’enfant attribue des significations diverses" Ainsi, l’enfant, dès son plus jeune âge, sans attendre d’avoir franchi le seuil de l’école, reçoit une instruction et une éducation 220 imbriquées l’une dans l’autre. Elles font toutes deux partie intégrante du milieu dans lequel il vit. Ainsi, quelle que soit sa configuration, la famille participe à l'élaboration de la personnalité de l'enfant. Sa contribution éducative apportera peu ou prou à son développement affectif et cognitif. Les parents, dans ce jeu des relations interpersonnelles (PERRENOUD, 1987), des styles adoptés en fonction de leur ethos (KELLERHALS et MONTANDON, 1991) et des identifications sont d’une importance primordiale dans le processus graduel de prise de conscience de soi et de construction des images de soi (PERRON, 1991) (PIERREHUMBERT, 1991). Des chercheurs comme MONTAGNER (1993) ont montré également que l’enfant, sous formes de mimiques, de gestes et de postures, interpellait son entourage. Ce sont les premières formes de langage invitant à la communication dans une relation. Ainsi, dans son milieu originel, il appréhende les autres, les objets, les écrits avec tous ses sens car, dès son plus jeune âge, il est capable d'un langage même si celui-ci n'est pas encore tout à fait normalisé. C’est en ce sens que Emilia FERREIRO (1979), affirme "qu'on le veuille ou non, il s'avère que les enfants n'attendent pas d'avoir six ans et une maîtresse devant eux pour se poser des questions concernant l'écrit (-). A mon avis, c'est comme l'acquisition du langage : un enfant de deux ans ne parle pas comme nous mais il parle, on ne lui nie pas le droit à la parole. Un enfant de trois quatre ans n'écrit pas comme nous mais il écrit. Il y a des activités d'interprétation et de production de l'écrit qui précèdent les activités de production et d’interprétation de textes propres à la lecture dans un système alphabétique"221 . Et, avec René DIATKINE (1990), nous soulignons le fait que "lorsqu'on réfléchit au problème de l'échec au cours préparatoire, on voit bien que, ce que les enfants ont vécu de leur naissance à cet âge (6 ans) est déterminant, provoque la réussite ou l'échec"222. Le vécu intra-familial, à travers des pratiques éducatives engendrées, consolide donc la réussite en matière d’apprentissage. J.P. POURTOIS (1979), dans une recherche où il compare à l’aide d’un protocole expérimental rigoureux les attitudes des mères pendant une séance d’apprentissage avec leur enfant de 5-6 ans, constate que "les résultats obtenus confirment l’opinion très répandue selon laquelle les pratiques éducatives marquent le devenir développemental et scolaire de l’enfant"223. L’auteur a pu "à de multiples reprises, souligner l’importance d’un certain nombre de facteurs psychosociaux interférant d’une manière significative avec le développement et la réussite scolaire de l’enfant"224.

Notes
219.

SONG (I.S.) et HATTIES (J.).- Home environnement, self concept, and académie achievement : a causal modelling approach.- Journal of educational Psychology, 1984, pp 1269 à 1281.

220.

Education : "moyens par lesquels l’enfant est aidé dans son épanouissement personnel et dans l’acquisition des capacités, des modes de comportement, des valeurs considérés comme essentielles par le milieu humain où il est appelé à vivre." dans Dictionnaire encyclopédique de pédagogie moderne HOTYAT, F. et DELEPINE-MESSE, D. ,Bruxelles, Labor-Nathan, 1973, page 110.

221.

FERREIRO (E.).- Apprentissage et pratique de la lecture à l'école.- Acte du colloque de Paris 1979, CNDP.

222.

DIATKINE ( R.).- La maternelle.- dans Autrement, Avril 1990, Paris, page. 20.

223.

POURTOIS (J.P.).- Comment les mères enseignent à leurs enfants de 5-6 ans.- PUF, PARIS 1979, page 224.

224.

Op. Cit. page 240.