6-5 Là où le contexte conforte l’apprentissage de l’acte lexique.

La prise en compte des processus mentaux d’apprentissage de la lecture sont importants pour qu’il y ait réussite effective. Mais, cela ne suffit pas. Projet de fin et projet de moyen sont ainsi indissociables pour le lecteur débutant. S’il faut tenir compte de la réalité mentale (GARANDERIE, A. de la, 1982.) reposant sur des bases ontologiques du sujet apprenant, les représentations qu’il se fait de ce nouvel acte de communication sont à prendre en considération. La position adulto-centriste de l’enseignant, consistant à ne proposer ipso facto qu’une seule méthode, qu’un seul chemin pour atteindre telle connaissance ou maîtriser tel savoir-faire ne tient plus. La représentation de l’enfant, l’analyse qu’il en fait, son histoire d’apprenti, les connexions ultérieures à y envisager entre les différentes informations sont trop présentes pour ne pas les prendre en compte.

L’enfant baigne dans un univers familial qui lui apportera peu ou prou des éléments qui vont structurer naturellement cette conscience de l’écrit. Avant même cette conscience de l’écrit, il y a tout d’abord une "conscience de l’oral" (HEBRARD, 1977). La consolidation des différentes structures du langage oral sont autant d’atouts pour une conscience effective de l’écrit. En effet, n'importe quel enseignant, notamment dans les classes primaires, lors d’entretiens avec des enfants en difficulté avec l’écrit, peut se rendre compte que, parmi eux, certains ne savent pas nommer ou décrire justement une gravure ; cela dénote une pauvreté tant sur le plan lexical que syntaxique. Certains n'ont pas suffisamment de lexique et de tournures syntaxiques à l'oral ; ils ne peuvent avoir qu'une communication restreinte les empêchant de tisser des relations en dehors de leur groupe d'appartenance ; ils sont également en difficulté face à l'écrit et la lecture (BENTOLILA, 1996). Des enfants, les jeunes de demain, sont parfois en grande difficulté ou en échec (MEIRIEU, 1988) face à l’apprentissage de la lecture car ils n’ont pas cette conscience de l’oral ; ils ne savent pas dire les choses telles qu’on le demande dans le contexte scolaire. Ils éprouvent également de la difficulté à la compréhension d’un principe logique simple ; il faut parfois leur arracher une maigre réponse. En tout état de cause, on peut dire qu'ils ont manqué d’expérience spécifique et de vocabulaire pour exprimer telle ou telle situation vécue ou traiter sur le plan linguistique telle information reçue. Ils n'arrivent pas à recontextualiser un savoir appris en dehors de l’école. En d’autres termes, le décalage est tel entre l’école et le milieu familial, que des enfants ne savent pas utiliser leurs connaissances apprises ailleurs pour le bénéfice des apprentissages dits scolaires. On pourrait dire que les contextes pédagogiques et culturels entre famille et école sont tellement éloignés dans leurs fins et leurs moyens que l’enfant se trouve en difficulté non pas pour un problème d’intelligence mais par un manque d’harmonisation entre les divers contextes d’apprentissage.

Il s’agit pour l’enseignant de tenter de prendre en compte le contexte dans lequel l’enfant s’est approprié ses connaissances pour le faire aller plus loin. Plus la culture de l’enfant sera éloignée de celle de l’école, plus il lui sera difficile d’y accéder. Il y arrivera à partir du moment où elle fera sens pour lui. Le relais familial servira alors d’intermédiaire. Le dialogue, la concertation et l’écoute seront les seuls outils d’une relation à construire entre enfant et enseignant.

De toute évidence, quand l’enfant rencontre une difficulté pour nommer une chose ou avoir la compréhension d’un système simple, c’est qu’il n’y a pas été confronté ou l’a été, mais dans un contexte particulier. Il en sera de même pour l’écrit. Par exemple, il arrive que des enfants n’aient jamais vu une photo ou un dessin représentant un kangourou. La plupart d’entre eux peuvent l'avoir déjà vu dans un zoo. Dès lors, même s’ils connaissent l’animal, ils peuvent avoir une difficulté à le reconnaître, à le nommer lorsqu’on leur présente une photographie ou un dessin. L’enfant, en ayant eu l’expérience de voir, d’entendre, de sentir cet animal au zoo, possède ses caractéristiques globales s'il l'a introduit dans son espace mental comme connaissance à retenir. Sur une photo, un dessin, le kangourou est décontextualisé car il a perdu en quelque sorte la plupart de ses attributs (BARTH, 1989). Par conséquent, l’enfant peut être en difficulté, non pas parce qu’il ne connaît pas la réponse mais parce que la situation qu’on lui a présentée est hors de son contexte d’apprentissage. Cette notion de contextualité ou d’extra-contextualité liée à la résolution de problème ou d’échange d’informations apparaît ici fondamentale et tout à fait applicable lorsqu’il s’agit d’apprentissage de l’acte lexique. L’enfant n’ayant pas ou peu connu diverses formes d’écrits - sans même parler des formes des lettres - sera perdu quand il les rencontrera à l’école."En effet, avant même d’avoir été à l’école, certains enfants peuvent avoir déjà appris beaucoup concernant l’écrit, même s’ils ne savent pas encore lire et écrire parfaitement"227. Ces connaissances plus ou moins approfondies vont pouvoir les aider à mieux gérer des questions extra-contextuelles pendant leur scolarité. Les enfants sont alors en mesure de les projeter dans leur avenir, d'autant plus que le type de dialogue qu’entraîne la médiation favorise le rapprochement des deux cultures, scolaire et familiale.

Sans que WELLS dévoile avec précision le cadre méthodologique de sa recherche, il déclare : " Telle est l’interprétation que nous avons faite d’après les données du test et du questionnaire. De tous les tests que nous avons distribués à l’entrée à l’école, celui qui a obtenu le plus de corrélation avec l’acquisition globale 2 ans plus tard était la connaissance de l’alphabet (r= .79, p < .001) et, à son tour cette acquisition était en corrélation avec un certain nombre de variantes dérivées du questionnaire rempli par les parents quelques mois auparavant : le nombre de livres que l’enfant possède (r= .38, p < .001), l’intérêt de l’enfant à l’alphabétisation (r=.48, p<.002). et sa concentration lors des activités à l’alphabétisation (r=.57, p < .001). Ces variantes du test et du questionnaire étaient également clairement liées à la classe sociale de la famille de l’enfant (r=.06 à .07, p<.001)"228

L'auteur montre que l’acquisition de l’écrit est fortement corrélée avec l’expérience du langage écrit dans les années préscolaires et leur connaissance des fonctions et mécanisme de la lecture et de l’écriture. "Ainsi, bien qu’il existe d’autres facteurs, au moins en ce qui concerne le langage, c’est à travers la place et la valeur données à l’alphabétisation dans les activités familiales quotidiennes que l’inégalité sociale et éducationnelle est transmise de génération en génération, plutôt qu’à travers l’utilisation d’un code ou d’un dialecte particulier"229 . Cela dit, même s’ils ne sont pas considérés comme des facteurs importants, on peut admettre que le code ou les codes de communication utilisés dans une famille peuvent faciliter ou réduire l’accès à l’écrit.

Notes
227.

WELLS (G.) page 233. This is indded the interprétation we have put on the test and questionnaire data we have collected. Of all the test that administered on entry to school, the on that had the higtest correlation with overal attainment 2 years later was knowledge of literacy (r=.79, p< .001), and this, in turn, was correlated with a cluster of variables derived from the questionnaire administered to the parents a few monts earlier : number of books owned by the child (r=.38 p<.05), the child interest in literacy (r=.45, p<. 02), and his or ther concentration in activities associated with literacy (r=.57 p<.001). These test and questionnaire variables were also sinificantly associated the children's class of familly background (r=.6 to .7, p<.001

228.

WELLS (G.) page 234.

229.

WELLS (G.) page 234.