6-6 Là où l'enseignante 230 peut paraître démunie.

L'enseignante est la première à reconnaître que la famille à un rôle primordial dans les apprentissages et, en même temps, pense important qu’elle ne soit pas trop mêlée à la pédagogie qu’elle exerce dans sa classe. les parents n’étant pas des professionnels, ils n’ont qu’un droit de regard très limité sur la pédagogie. Tel est l'un des paradoxes de la situation. La caricature pourrait faire parler l’enseignante  de CP de cette façon : "Aidez vos enfants comme je vous l’ai dit à la réunion de classe sans vous poser de questions et s’il y a un problème, remettez-vous en cause sur la façon dont vous élevez votre enfant, et allez voir un psycho ou une orthophoniste".

Une telle prise de position montre qu'elle ignore le fait qu’en connaissant mieux les représentations des parents et des enfants, son enseignement gagnerait largement en efficacité (TIBERGHEIN A. 1985, VERGNAUD G.,1986). Elle s’appuierait ainsi sur les acquis, les vécus lectoraux de chacun pour échafauder une pédagogie différenciée, cherchant plutôt à modifier ou affiner les représentations existantes qu’à imposer un nouveau style de communication. D’ailleurs, lorsqu’arrivent les mois de décembre, janvier, un vent de panique s’empare d'elle si un enfant ne "démarre" pas. Les rencontres avec les parents se multiplient. Face à la difficulté de la correspondance phonie-grahie, l’orthophoniste est sollicité. Devant le comportement passif ou hyperactif, le psychologue peut être alerté. Cependant, on se pose très rarement la question de savoir si l’enfant s’est construit des représentations efficaces sur l’acte lexique et encore moins sur le projet de sens implicite qu'il a pu élaborer avant d’entrer de plein pied dans l’apprentissage.

Malgré les nombreuses recherches démontrant que le tout phonétique, le tout global ou le tout sens ne sont qu’un des aspects de l’apprentissage, l’enseignante  qui a charge le CP, suit généralement la progression du livre, même si celle-ci ne correspond pas au vécu et à la langue maternelle pédagogique 231 de l’enfant. Elle a été formée, autant que faire ce peut, à enseigner l'apprentissage de la lecture. On ne les a pas forcément informées sur la complexité des enjeux relationnels, cognitifs et sociaux à l'œuvre dans cette situation particulière d'apprentissage. C'est parfois, dans certains quartiers, un véritable défi, qu'elle ne peut soulever à elle seule. Elle est bien consciente que la réunion de début d'année ne suffit pas pour éclairer le questionnement des parents. Si Alain BENTOLILA (1996) constate son "repli frileux"232 sur elle-même une fois les premières informations données, ce n'est pas seulement, à notre sens, qu'elle ait envie de garder "sa liberté de choisir sa méthode et de suivre sa propre démarche"233 mais qu'elle ne sait pas aussi, comment tisser une relation originale avec des parents eux-mêmes en difficulté et parfois en rupture avec le système scolaire. Par ailleurs, à l'intérieur même de l'institution scolaire, elle n'a pas, à elle seule, la responsabilité de cet enseignement ; c'est bien dans une réflexion d'équipe, notamment cycle I et cycle II, que doit s'élaborer "un partenariat pédagogique dans lequel l'action des parents compléterait harmonieusement la démarche scolaire"234.

Notes
230.

Le genre féminin a été choisi parce que l'on rencontre beaucoup plus de femme enseignant en C.P. Les enseignants homme y sont bien entendu inclus.

231.

GARANDERIE de la (A.).- Les profils pédagogiques, discerner les aptitudes scolaires .- Centurion, février 1982, page 96.

232.

BENTOLILA (A.) .- De l'illettrisme en général et de l'école en particulier .- Plon, 1996, page 184.

233.

Op. Cit. page 184.

234.

Op. Cit. page 184.