Chapitre 8. Deux méthodes d'investigation pour une seule recherche : une épreuve étalonnée et l'entretien semi-directif.

8-1 Choisir un cadre méthodologique.

8-1-1 La difficulté du choix de la démarche méthodologique de recherche.

Pour ce faire, il faut d'emblée écarter des démarches qui ne pourront qu'être moyennement satisfaisantes. La première, éthologique, qui consiste en l'observation des acteurs en situation, comme le propose Hubert MONTAGNER ²³⁸ , est délicate, dans la mesure où l'observateur est déjà acteur rien que par sa présence. De plus, les protocoles expérimentaux ne sont pas intéressants d'un point de vue épistémologique car ils ont tendance à éloigner l'enfant de son cadre naturel. A partir de ce constat, même si des études très argumentées, tant sur le plan théorique que méthodologique donnent des résultats dignes d'intérêts dans un milieu particulier, telle que la crèche ou le laboratoire de psychologie, il n'en est pas moins audacieux de vouloir tirer des conclusions qui prétendraient se transférer dans le domaine familial, où les interactions entre les protagonistes diffèrent. Malgré ces réserves, ces expériences réalisées et les conséquences qui en découlent n'empêchent en rien de poser un regard nouveau sur l'enfant. La prudence est donc de rigueur comme le montre Jacques LAUTREY, qui se propose dans le cadre de son travail, de mettre au point "une stratégie de recherche qui concilie les exigences de la démarche expérimentale avec les limitations qu'impose la nature du problème posé"²³⁹. Ces propos confortent nos intuitions méthodologiques, en montrant l'impossibilité scientifique, déontologique et pratique de pénétrer dans les familles afin d'en étudier les comportements, comme pourrait le faire un ethnologue. Cela tient du risible ou de la boutade. Nous constatons, comme ce même auteur, qui se réfère à une dimension plus large que la nôtre, puisqu'il aborde le développement cognitif dans son ensemble, "que le cadre théorique de départ, susceptible de fonder une définition des pratiques éducatives et d'être source d'hypothèses relatives à leurs effets sur le développement cognitif est probablement ce qui a le plus manqué aux travaux consacrés à ces questions par le passé"²⁴⁰.

Jean Pierre POURTOIS ²⁴¹ , quant à lui, offre une démarche de type expérimental, en proposant un certain nombre de facteurs d'influences qui caractérisent la structuration de l'enfant en lien avec les pratiques éducatives. Il analyse ainsi le développement intellectuel, l'adaptation scolaire, l'origine sociale (échec à l'école, appartenance sociale) et les facteurs d'influence (héritabilité, facteurs psychologiques, facteurs sociologiques, milieu familial, milieu socio-économique et culturel, caractéristiques de la personnalité, caractéristiques de l'adaptation sociale et personnelle, attitudes éducatives et pratiques éducatives). Aussi, décrit-il abondamment les variables dont il se sert pendant sa recherche (variables distales, proximales, de référence). Si le champ théorique est séduisant par sa rigueur et son originalité, les moyens d'investigation et de vérification d'hypothèses nous surprennent. Les deux postulats ²⁴² qui servent de base à l'analyse différentielle ne sont pas satisfaisants, dans la mesure où l'on croit comprendre que la présence de la caméra servant à filmer les séquences qui seront analysées par la suite n'altère en rien les comportements de la mère et de l'enfant au cours de l'expérimentation. Même si le protocole est le même pour toutes les familles, servant ainsi à l'établissement de différences, cette analyse reste purement expérimentale et n'apporte que des réponses partielles à la compréhension. Néanmoins, comme le souligne l'auteur, il a pu "à de multiples reprises, souligner l'importance d'un certain nombre de facteurs psychosociaux interférant d'une manière significative avec le développement et la réussite scolaire de l'enfant"²⁴³. C'est peut-être là que réside la complexité de la tâche du chercheur, car les variables sont nombreuses, complexes et leurs interactions diversifiées. Ces deux techniques d'approche du réel, éthologique et expérimentale, sont à écarter car elles n'abordent que des aspects particuliers.

Sortant de la logique méthodologique, Georges EID situe dans un contexte plus large que le nôtre le rôle de la famille, en la proposant comme génératrice d'échec et ou de réussite scolaire. Elle en est l'élément fondamental. Pour cela, il convoque un certain nombre de travaux de recherche dans lesquels la famille est privilégiée comme objet de recherche. Comme nous le percevons, nous sommes encore dans une logique de réussite ou d'échec scolaire, dont les causes sont imputables à différents facteurs inhérents au vécu familial. Ainsi, psychologues et sociologues ont tenté de décrypter les styles d'éducation des parents (REUCHLIN, POURTOIS, DESMETS) ²⁴⁴ , la constitution de la famille (T.TAP) ²⁴⁵ , Le concept d'attitude (POURTOIS, DESMETS ), la trajectoire familiale (PERCHERON) ²⁴⁶ , le souci d'avenir (M.SEGALEN) ²⁴⁷ , le code linguistique (BERNSTEIN) ²⁴⁸ . Toutes ces études montrent que l'on porte un intérêt croissant à la famille et aux relations qu'elle tisse en son sein et à l'extérieur d'elle-même. Bien que nous ne soyons pas dans la même logique, c'est à dire centré sur l'échec scolaire, il est important de prendre en considération ces recherches, qui soulèvent tous les facteurs psychosociologiques dont les variables apparaissent parfois comme insaisissables.